Une semaine jour pour jour que j’ai quitté mon emploi. Une semaine où il a fallu occulter ce passé si proche pour mieux se projeter dans l’avenir. S’abstenir avec regret de tout contact, ne pas appeler ses collaborateurs, ne pas prendre de nouvelles des projets brûlants, du jeune papa qui est rentré de congés et que je n’ai pu saluer, bref couper les ponts pour ne pas interférer avec une histoire qui n’est plus la mienne.
Une semaine aussi à goûter une liberté retrouvée. Aujourd’hui j’ai pu arpenter le grand marché de Belleville. Une revanche sur tous ces matins où j’ai quitté mon quartier pour Saint-Denis sans me délecter de deglet goûteuses, d’olives pimentées, de bouquets de coriandre et de menthe, des mille pains d’Orient. Tout à loisir j’ai pu relever les incantations des vendeurs égyptiens, grands séducteurs de ménagères arabes, à la poésie exacerbée par le soleil du Delta. « Que veux-tu mon âme ? », « Goûte cet abricot à la peau douce comme ta joue », « Bientôt Ramadan cousine, ces aubergines sont pour toi », « Saha mon frère ». Dans cette débauche d’accents, de couleurs, de saveurs, de visages et de costumes bigarrés, les derniers maraîchers franciliens font figure exotique. Ils défendent, avec les poissonniers – race farouchement endogame – une certaine idée de la tradition mais sont bien obligés de reconnaître que sans la clientèle familiale et étrangère du quartier il y a longtemps que le marché aurait disparu.
Cet intermède me ramène à mes résolutions d’hier et c’est Jean Dutourd, l’auteur d’Au bon beurre, qui s’y connaissait en petit commerce comme en petites lachetés qui me disculpe de ces heures de coupable distraction. Nécrivait-il pas
« Où finit la paresse, où commence la contemplation ? »