Je trouve dans ma messagerie ce singulier texte d’une internaute accompagné par ailleurs d’amicaux commentaires.
Étant turque, je me suis un peu attardée sur ton voyage en Turquie. Mais ce que je n’ai pas apprécié c’est ton titre Kurdistan Turc, en Turquie il n’y a pas de Kurdistan mais il y a des Turcs d’origine Kurde. Il n’existe même pas de région qui s’appelle Kurdistan, il y a l’Anatolie de l’Est, du Sud-Est… Si la République de Turquie a ouvert ses portes aux Kurdes ce n’est pas pour qu’ils divisent notre pays, c’est pour qu’ils puissent poursuivre leurs existences…
Les notes de voyage disponibles sur mon site, sans autre intérêt que pratique, s’intitulent effectivement Mésopotamie et Kurdistan turcs. L’idée de mon circuit au printemps 2002 était d’aller aux confins orientaux de la Turquie dans une perspective historique et culturelle comme prolongement de mes connaissances acquises en Syrie mitoyenne. Entre Euphrate et Tigre je découvrais alors la partie turque de la Mésopotamie antique, au-delà plus à l’est encore les terres peuplées majoritairement de Kurdes depuis quelques longs siècles maintenant, en tout cas depuis plus longtemps que les Turcs sont à Istanbul (1453). Par analogie, j’aurais tout aussi bien pu écrire Pays basque français si mon voyage s’était intéressé à cette région et à ce peuple sans qu’aucun Français ne s’en offusque. L’idée de ce titre n’était pas de prendre parti pour ou contre une indépendance kurde. Mais nommer c’est reconnaître l’existence ; par opposition l’innommable est ce que l’on voudrait qu’il n’existe pas.
Je ne commenterai pas le « Si la République de Turquie a ouvert ses portes aux Kurdes » qui ferait au mieux sourire ces derniers.
Cette parenthèse m’a permis de découvrir Kéraban-le-Têtu un roman de Jules Verne paru en 1883 et disponible sur internet comme la plupart de ses oeuvres passées au domaine public. Il raconte de manière très enjouée les tribulations d’un vendeur de tabac turc (Kéraban) et d’un de ses clients hollandais autour de la mer Noire. Ça ne vaut pas Tartarin de Tarascon mais pour un éclairage sur les toponymes c’est assez pédagogique.
Cette région montagneuse de l’Asie, qui comprend l’ancienne Assyrie et l’ancienne Médie, est appelée Kurdistan dans la géographie moderne. Elle se divise en Kurdistan turc et en Kurdistan persan, suivant qu’elle confine à la Perse ou à la Turquie. Le Kurdistan turc, qui forme les pachaliks de Chehrezour et de Mossoul, ainsi qu’une partie de ceux de Van et de Bagdad, compte plusieurs centaines de mille habitants, et parmi eux,—nombre moins considérable,—ce seigneur Yanar, arrivé depuis la veille au caravansérail de Rissar, avec sa soeur, la noble Saraboul.
Jules Verne ne parle en cette fin du XIXe s. ni de Kurdistan irakien ni de Kurdistan iranien puisque ces États n’existaient pas plus que la Turquie. S’il utilise le mot turc c’est qu’il sous-entend turc ottoman en référence à l’Empire qui s’étendait au moins nominalement bien au-delà de Bagdad. En mémoire de Jules Verne je garderai donc mon titre Mésopotamie et Kurdistan turcs. Du reste la presse (Le Monde, Le Figaro, L’Humanité) utilise couramment ce terme pour désigner l’Anatolie orientale contemporaine dès lors qu’elle fait référence à son peuplement et à la question kurde. « A Diyarbakir, capitale du Kurdistan turc » peut-on lire parfois.
Jetez un oeil sur les derniers développements de cette fameuse question dans l’article signé de notre ambassadeur Bernard Dorin.