Tout quitter pour 6 mois. On ne s’imagine pas vraiment ce que ça représente même au moment de partir, absorbé par l’agitation des préparatifs. On pense à ceux qu’on aime et qu’on laisse. Comment leur justifier aussi longue absence ? On se sent terriblement égoïste à vouloir coute que coute poursuivre avec détermination un projet mûri de si longue date. Pour se rassurer on se dit que tout ira forcément bien, que la mission est passionnante, qu’il faut parfois renoncer à ses certitudes et à son confort. Que ce temps donné aux autres l’est pour une juste cause, et qu’il faut bien un jour accorder ses pensées à ses actes. On se fait alors automate guidé par un compte à rebours implacable. On déambule, irritable, une liste du parfait voyageur en main : des repellents à trouver, des euros à changer, un courrier à terminer, le RER jusqu’à Roissy. Puis c’est l’heure des adieux maladroits avec des mots qui – comme des amants impossibles – se cherchent sans se trouver, l’embarquement enfin… Et quand vous reprenez vos esprits il est trop tard. Vous venez d’aborder les côtes d’Afrique quelque part en Kabylie. Le soleil se noie dans un éther orange. Un lac scintille, les derniers feux vacillent avant que la nuit noire engloutisse le Sahara et vous dedans.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Tout quitter pour 6 mois ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2006/06/tout-quitter-pour-6-mois/>