On risque pas de faire des folies au Mozambique. Les plus grands «supermarchés» du pays ont la taille de nos supérettes. A l’intérieur, des mini-caddies faméliques se frayent un passage entre trois rangées de gondoles décharnées. On n’achète rarement plus de cinq articles à la fois, longuement inspectés, soupesés sous l’œil vigilant d’une escouade de vendeurs en blouse. D’un supermercado à l’autre on retrouve toujours les mêmes articles. Beaucoup de produits sud-africains, portugais et brésiliens mais presque jamais mozambicains. Au hit-parade des ventes : l’eau bien sûr celle du robinet n’étant pas potable, les jus de fruits, les produits d’entretien, les gâteaux secs, quelques conserves, mais pas d’alcool dans ces établissements généralement halal. On n’est pas à l’ère de l’achat compulsif, des caddies débordant de victuailles pour la semaine et des demi-heures d’attente aux caisses pour payer. Serions-nous entrés dans l’ère de la post-consommation ? Les Mozambicains nous montreraient-ils la voie de la décroissance, du souci de l’empreinte écologique ?
Trêve de cynisme. L’abondance est un des rêves les mieux partagés de notre humanité. Il doit se cacher sous ce constat quelque tropisme relevant de l’anthropologie. Si le caddie mozambicain est vide, on l’aura compris, c’est qu’il n’y a tout simplement pas d’argent pour le remplir. Les immenses queues aux distributeurs de billets les jours de paie comme aujourd’hui illustrent assez la difficulté des Mozambicains à joindre les deux bouts.
Et puis, j’aurais dû commencer par là, ces supérettes ne concernent personne. Tout au plus l’embryon d’une classe moyenne et les quelques expatriés de Maputo. L’essentiel du commerce de détail passe par les circuits informels : immenses marchés populaires comme celui de Xipamanine ou de Fejardo, mini-boutiques, vendeurs de rue… Le terme informel largement utilisé est d’ailleurs assez malheureux voire méprisant(*). Car les activités que recouvre ce domaine, si elles échappent à la législation, obéissent pour autant à des modèles économiques et organisationnels aussi complexes que variés. Si ces derniers ne répondent pas à nos critères d’efficacité basés sur l’économie d’échelle, ils sont néanmoins assez efficaces pour permettre à toute une frange de la population d’exercer une activité rémunératrice et d’irriguer le pays en produits de base. La plupart des États où l’emploi salarié reste marginal l’ont bien compris. Ils ferment les yeux sur ce commerce qui contient la violence sociale.
(*) comme le terme sous-développement d’ailleurs.