Sep 282006
 

Ces quatre premiers mois au Mozambique j’ai pris soin de noter les emprunts à l’arabe dans les langues du pays ; une marotte qui s’accorde bien à ma passion de collectionneur. J’ai identifié deux influences portées par des vents totalement contraires.La première s’exerce d’abord au Portugal en particulier dans l’Algarve qui fut de 711 à 1243 le prolongement occidental de l’Andalousie(*). L’arabe s’immisce alors dans la langue portugaise, moins fortement que dans l’espagnole, tout particulièrement dans le domaine de l’alimentation. Dans ce registre on notera les mots qui désignaient les cultures généralement apportées par le conquérant : arroz, le riz, laranja, l’orange(**), azeitona, l’olive, tamara, la datte et celle qui me ravit le plus vous vous en doutez damesco, l’abricot… de Damas bien sûr. Cette influence ne concerne pas exclusivement le vocabulaire agricole. On reconnaîtra dans armazém une forme plus proche de l’arabe al-maghzem que notre magasin et dans l’interjection très portugaise Oxalá ! (Dieu le veuille !) le célèbre In’challah utilisé à toutes les sauces. Le cas de dinheiro (l’argent) est plus ambigu. Vient-il directement du denarius romain ou est-il passé par la forme maghrébine dinar de même racine ? Voilà pour quelques exemples de l’influence arabe dans le portugais qui arrive au Mozambique avec le colon quelques années après la Reconquista(***).
La seconde influence est celle qu’exercent directement les Arabes le long des côtes est-africaines dès le 8ème siècle. Au nord du Mozambique, une ethnie parle swahili, la langue officielle de la Tanzanie voisine dont la base est bantoue mais le vocabulaire issu pour quart de l’arabe. Cette langue extrêmement simple fut portée avec le commerce et l’Islam le long de la côte jusqu’à Beira. Les exemples d’emprunts du swahili à l’arabe sont très nombreux. Les arabisants reconnaîtront sans peine en kitabu, le livre, anwani, une adresse, sufu, la laine, soko, le marché, shukrani, merci, kula, manger, ghali, cher… j’arrête là l’énumération d’une liste qui comprend plusieurs centaines de termes dont le système de numération et les unités de temps(****).
Le swahili, langue véhiculaire, va à son tour « contaminer » les langues locales. Ainsi le shitwani dont on peut voir des figurations dans la sculpture makondé au musée de Nampula est le cheitan arabe, un mauvais esprit ; masikini, titre d’une très belle chanson d’Eyuphuro, signifie pauvreté en macua. Le jeu populaire que l’on vous désigne comme le mpale à Ilha n’est autre que le jeu de tawileh dans les pays arabes (awaleh dans d’autres contrées). Le piripiri, piment très utilisé dans la cuisine mozambicaine n’est autre que le fil-fil arabe (le pilipili swahili). Je trouve singulier que des mots d’une même langue se retrouvent loin de leurs racines portés par des vents très différents ! Mais après tout y-a-t-il bagage plus léger que celui des mots ?


(*) Du terme arabe al-Gharb, occidental.
(**) Le cas de l’orange illustre parfaitement le chassé-croisé des langues. Le terme arabe pour désigner l’orange (bortuqal) vient de Portugal ! Alors que le terme arabe narranj (qui désigne dans cette langue l’orange amère) a donné laranja en portuguais et notre orange douce. Voir à ce propos l’article Orange.
(***) Que le lecteur averti me pardonne l’absence de méthodologie sérieuse dans l‘élaboration de cette notice totalement empirique qui mériterait un ouvrage entier. Il existe sans doute des ouvrages d’étymologie bien mieux renseignés hélas inaccessibles à Maputo.
(****) Voir par exemple le Swahili Phrasebook. Lonely Planet, 1998. Notre mot safari d’origine swahilie est lui-même issu de l’arabe safar, le voyage.