Dîner au thaï de Maputo avec une autre courageuse A. Celle-ci met un terme prématuré à une confortable expatriation et choisi de rentrer en France plutôt que de conduire une mission dont elle ne partage ni les objectifs, ni les méthodes de travail. Le restaurant thaï a beau faire l’important sur l’avenue Nyerere le service est à la sauce mozambicaine : un peu puéril, gauche, emprunté. Comme il n’y a plus de client on nous pousse vers la sortie à 21h sans scrupule pour l’enseigne qui proclame «Open 18h30-22h» ! N’y voir nulle mesquinerie. Le serveur d’un restaurant de cette catégorie(*) n’a guère les moyens de s’y attabler. Même avec la plus grande imagination comment pourrait-il se mettre dans la peau de son client et répondre à des attentes aussi culturellement marquées que «échanger des confidences autour d’un thé vert sans sucre à la fin d’un repas»(**).
A propos de bonnes tables le couple de restaurateurs français de l’hôtel «O Escondidinho» qui m’a délicieusement nourri durant mon séjour à Ilha est venu rejoindre A. ce soir. Joëlle est dans une verve satirique qui ne doit rien au champagne de l’Ambassadeur(***). C’est son naturel. Et Dieu sait s’il faut une parole déterminée pour former des serveuses aux subtilités des continental breakfast, tajine et autres vins sud-africains dans une province reculée du Mozambique. A Ilha j’avais été assez distant vis-à-vis du couple, autant par respect pour eux que par envie de solitude. Après tout ce n’est pas parce qu’on est compatriote que l’on doit forcément se faire la causette et saouler tout le monde de ses petites histoires.
A Maputo nous rêvons ensemble le futur d’Ilha en nouveau Lamu(****). Faudra-t-il que quelque locomotive s’y installe pour que la presse débarque et le public suive ? L’éclosion du tourisme doit compter également sur la volonté des populations. Le premier festival d’Ilha qui vient de s’achever a fait les gros titres des journaux… à cause d’une sombre querelle locale. Le festival s’est finalement tenu grâce à l’intervention gouvernementale. Précision importante l’opérateur de téléphonie MCel était parmi les sponsors…
Ilha et Lamu partagent un même Océan, une longue et riche histoire commerciale, un long déclin aussi qui en font des coquilles trop grandes pour leur présent, ménageant un vide déprécié qui attire de petits investisseurs étrangers. Des passionnés venus d’Europe qui retapent avec goût de vieilles demeures pour en faire des résidence, ghest-house, restaurant et boutique.
Mais à y regarder de plus près il n’y a pas que la distance qui sépare Ilha de Lamu. Inventaire brut.
- le Tropique pour l’une ; L’Equateur pour l’autre
- Une île étroite et dense posée au milieu d’une baie aux immenses plages de sable blanc ; un archipel d’îlots desservis par des chenaux bordés de mangrove épaisse et de belles plages
- Une ville de pierre peu élevée de style colonial portugais ; une architecture de style indo-arabe plus aérienne avec terrasses couvertes et vue dégagée sur la mer
- Des forteresses en pierre sur l’eau ; un fort un peu mou dans les terres
- Des églises et une grande mosquée ; des mosquées de rites différents
- Une seule île entièrement construite et densément peuplée ; des bourgs étagés face à l’Océan avec des champs à l’arrière répartis en plusieurs sites
- une population presque exclusivement noire et métis ; noire, arabe, indienne
- langues portugais et macua ; anglais et swahili
- à distance relative d’une grande ville par une bonne route ; accès quasi-exclusif par la mer et l’avion dans une région très isolée
- Ressources : la pêche ; la pêche, le bois, l’agriculture
- Tourisme : colonial puis renaissance depuis une dizaine d’années ; continu depuis les années 70
- Rues carrossables parcourues par plusieurs bonnes voitures ; que des ruelles royaume des ânes, une seule voiture
- Un imposant site historique colonial ; de nombreux petits sites swahilis en ruine ou habités
- Pays : un Mozambique, encore peu ouvert au tourisme et mal desservi ; le prestigieux Kenya avec charters et vol réguliers, depuis longtemps célèbre pour ses grands parcs animaliers, la proximité du Kilimanjaro…
L’avenir de ces prestigieux sites cousins classés au patrimoine de l’Unesco, se nourrira de ce contexte. Il devra se construire aussi avec les populations locales pour s’inscrire dans la durée et être un facteur de développement régional et non de déséquilibre. Rendez-vous donc dans dix ans pour évaluer le chemin parcouru.
(*) catégorie plutôt modeste pour nos standards (on y mange pour 15 €) mais dont il ne doit pas exister plus de deux cents représentants dans tout le pays.
(**) tradition post-écolo, tendance bio, pré-bobo. Tout début XXIe s. Prémices datés fin XXe s. Principalement France urbaine.
(***) l’Ambassadeur donnait une réception pour présenter les nouvelles équipes françaises ce même soir.
(****) Lamu est située au nord du Kenya. Le village voisin de Sheila abrite une villa habitée par la famille monégasque.