Oct 182006
 

La colonisation n’a pas revêtu le même sinistre masque dans tous les pays conquis. On connaît la différence classique entre colonisation de peuplement (Amérique du Nord et Afrique du Sud par ex.) et d’exploitation. La colonisation portugaise tient de la deuxième catégorie mais possède des traits spécifiques qui la distingue des colonies anglaises ou françaises en Afrique Noire.
Une implantation précoce mais très partielle
Après le périple de Vasco de Gama à la fin du XVe s. l’installation d’escales et de bureaux de commerce(*) pour la nouvelle route des Indes va progressivement tourner à l’exploitation mercantile de l’intérieur. Une fois dotées Sofala et Ilha de forteresses les Portugais pénètrent le pays par la vallée du Zambèze pour sécuriser les approvisionnements en or et en ivoire principales exportations. Le goupillon accompagne le sabre. En 1560 le chef du grand royaume Monomatopa est converti au catholicisme par un prêtre venu de Goa. Des églises sont érigées, des missions ouvertes dans ce pays largement animiste.
Des «prazos» pourvoyeurs d’esclaves
Incapable de contrôler des territoires aussi vastes faute d’une population suffisante le Portugal doit très vite se résoudre à sous-traiter l’exploitation de ses terres. Dès le XVIIe s. la Métropole accorde à des Portugais et des Indiens (**) des concessions territoriales d’une durée de trois générations nommées prazos moyennant rente annuelle. Organisés en États militaires, les prazos guerroient entre eux et avec les royaumes locaux, s’émancipent de la Couronne portugaise et adoptent les coutumes locales. Les prazeiros nouent des alliances matrimoniales avec les chefs locaux pour s’assurer le contrôle de vastes territoires donnant naissance à un métissage original encore perceptible aujourd’hui. Les prazeiros sont surtout grands pourvoyeurs d’esclaves pour les côtes jusqu’à la fin du XIXème siècle. Les captifs – issus directement de razzias ou d’échanges et qui survivront à leur déportation – iront peupler d’autres colonies entre autres nos Mascareignes.
La mainmise des Compagnies jusqu’au début du 20ème s.
Au XIXème siècle le Portugal dut réagir pour ne pas perdre sa colonie dont elle n’avait qu’une jouissance très virtuelle incompatible avec la notion d’«occupation effective» définie lors de la conférence de Berlin (1884-1885). L’Angleterre et l’Allemagne convoitent ses territoires. Elle dépêche alors sa troupe et se heurte à la résistance de chefs locaux jusqu’en 1920. Dans ce contexte la frontière nord avec le Tanganyika allemand n’est traçée qu’à l’issue de la première guerre mondiale. L’administration directe reste encore limitée à la région de Nampula et de Maputo, d’immenses pans du territoire étant concédés à des Compagnies à capitaux étrangers. Celle du Niassa est chargée de mettre en valeur la province du Nord. Elle y développe le coton.
Grenier et mines
L’esclavage abolit, le rôle exclusif de la colonie devient celui de fournir des matières premières à la Métropole. La colonie ne doit pas coûter un escudo au trésor portugais. En 1910, une nouvelle constitution instaure l’apartheid. On distingue alors les «civilisés» des «indigènes». Le travail forcé est institué pour les seconds ainsi que l’impôt de paillote. Une administration se met en place dans les provinces avec l’appui des régulos, chefs traditionnels appuyés par les sipaios(***) pour «mettre tout le monde au travail». Un réseau de location de main d’œuvre est organisé avec les pays voisins en particulier à destination des mines sud-africaines en échange d’un or à vil prix.
Une colonisation interminable et archaïque
La notion d’indigène ne disparait des textes qu’en 1954, les travaux obligatoires qu’en 1962. Il faudra attendre les années 1960 pour que se développe un embryon de marché intérieur. Mais il est trop tard. Le Frelimo lance ses premières attaques en 1964. La répression symbolisée par la sinistre PIDE ne fera que retarder l’émancipation des Noirs. Le coup d’Etat à Lisbonne en 1974 sera le détonateur d’une décolonisation tardive mais inéluctable.
Une colonisation sans imagination
On ne peut pas dire que le Mozambique colonial ait été un creuset intellectuel. Peuplé de petits fonctionnaires tatillons au seul service de Lisbonne, on n’y trouve point de talents comme d’autres colonies en ont produits. L’éloignement de la métropole, l’isolement dans une région anglophone et surtout les quarante années de régime salazariste en place à Lisbonne n’ont guère favorisé l’éclosion intellectuelle. La petite classe des «assimilados» (africains assimilés) était la seule à bénéficier des filières d’enseignement des «civilisés». Mais ils n’occupaient que des postes subalternes : infirmiers auxiliaires, employés de bureaux ou régents agricoles.
Des bénéfices limités pour le Portugal
Les bénéfices de la colonisation pour le Portugal restent très mitigés et fait mentir les théories simplistes qui lient colonies et richesse du colonisateur. Malgré un empire colonial impressionnant(***) pour un pays de taille très modeste le Portugal était à la traine de l’Europe à la fin du XXe siècle et nullement une puissance mondiale.
Qu’elle n’ait pas été rentable pour la métropole n’enlève rien au caractère abjecte de cette colonisation. Au Mozambique peut-être plus qu’ailleurs encore(****) on peine à trouver un rôle positif à la colonialisation !


(*) Les factoreries
(**) Africains de l’armée coloniale
(***) Angola, Brésil, Cabinda, Cap vert, Comptoirs indiens (Goa, Macao…), Guinée-Bissau, Mozambique, Timor-Oriental, São Tomé-et-Principe
(****) Mais sur quels critères baser une gradation et quels intérêts sert un tel débat ?