Avec ma collègue nous nous réjouissions vendredi du Prix Nobel de la Paix décerné à Mohammed Yunus en nous disant qu’il serait l’occasion de lever les critiques qui pèsent sur les taux d’intérêt pratiqués («faramineux», «usuraires» !) .
La suspicion est forte en témoigne une réaction légitime d’un troisième A. à ma chronique sur le microcrédit dans laquelle je justifiais des taux d’intérêt annuels supérieurs à 50% en partie par la nécessité de se prémunir de l’insolvabilité. On me faisait remarquer que si le taux de remboursement des clients est excellent (la Grameen affiche un 99%) en quoi cela justifie de tels intérêts. Eléments de réponse.
Il y a une forte compétition autour du taux de remboursement. C’est à qui affichera le meilleur taux vis à vis de son bailleur, son conseil d’administration et son autorité de tutelle. C’est aussi un enjeux de viabilité. Une institution dont les clients ne remboursent pas voit très vite se développer cette délinquance.
Ceci doit inciter à la prudence sur l’indicateur lui-même. Un taux de remboursement de 99% est dans une moyenne haute mais n’a rien d’exceptionnel. On affiche nous aussi un taux de cet ordre. Mais c’est un taux de remboursement à la fin, après médiations, voire saisies… ce qui ne signifie nullement que les échéances aient été payées rubis sur ongle à la date convenue. Par exemple un indicateur plus pertinent est le Portefeuille à risque par âge. Il permet d’appréhender la part des crédits qui n’ont pas été remboursés par période. Au Mozambique les institutions affichent un PAR à un mois entre 2% et 6% ce qui dénote une tendance forte à l’impayé.
Le suivi des échéances coûte cher. Pour atteindre un taux de 99% il faut que les agents sillonnent les marchés, battent les campagnes, rappellent sans cesse les clients à leur devoir, il faut aussi activer la solidarité des groupes. Ce travail là a un coût. Et si vous ne récupérez pas votre crédit le premier mois les chances s’amenuisent pour l’avenir. En amont il faut aussi vérifier que les garanties de solidarité ou matérielles sont sérieuses. Dans nos pays un titre de non gage fait l’affaire. Au Sud il faut vérifier de visu, enquêter sur la destination des fonds : consommation immédiate ou réel désir de développer une activité qui permettra de rembourser ? Enfin la responsabilisation des groupes solidaires par une bonne information (au moins deux réunions préalables à la signature d’un contrat) permet d’améliorer le taux de remboursement. Tout ça représente beaucoup de temps et donc de l’argent.
C’est pourquoi je n’ai pas écrit que le taux de remboursement était faible, mais que les intérêts des crédits participent à la couverture du risque de solvabilité qui lui, est potentiellement élevé.
Cette couverture comprend donc :
– la responsabilisation des clients par des séances d’information préalables à la souscription
– la vérification de l’objet du projet et des garanties du client
– la mise en place d’épargne préalable, de dépôt de garantie
– la relance des clients à l’échéance
– le recouvrement pour les clients « légèrement » en retard
– le contentieux pour récupérer les sommes impayées
– enfin les impayés définitifs mais c’est de loin pas le plus coûteux effectivement si toutes les précautions ont été prises en amont.
Rappelons pour clore que la quête de la solvabilité 100 % n’est pas la seule explication au coût du micro-crédit. Le poids des coûts fixes rapportés au faible montant des crédits est également déterminant.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Microcrédit : la suspicion ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2006/10/microcredit-la-suspicion/>