Fév 202007
 

Itchkéri Kenti. Un nom imprononçable pour un film hors norme. 2h30 de vidéo entrecoupées de photos ; un documentaire filmé il y a dix ans et monté seulement en 2004 ; un sujet qui n’intéresse personne, la Tchétchénie qui se meure dans l’indifférence générale. Pourtant j’ai assisté ce midi en présence de son jeune réalisateur, à la projection d’un documentaire en tout point bouleversant(*).

La bande annonce.

Je ne raconterai pas le film, il s’y passe si peu de choses… et pourtant l’essentiel : l’assassinat d’un peuple, d’une culture, d’un terroir dans un huis clos total par une armée russe et des services secrets, disproportionnés, aveugles, impitoyables.
Je rapporterai plutôt les paroles de Florent Marcie son réalisateur. Il nous dit l’origine de ce film, tourné clandestinement en 96, seul. Un film qu’il fallut enterrer lorsque cerné par l’armée russe le village tchétchène dut se rendre. Puis l’impossibilité de le montrer et sa sortie de l’ombre après la prise d’otages de Beslan en 2004. Le désir de dire la Tchétchénie, son agonie, et d’éviter la confusion facile Tchétchènes – Terroristes, ces simplifications de l’actualité qui empêchent de réfléchir.
Car l’enjeu est là. Les Tchétchènes comme d’autres peuples n’ont pas les moyens de raconter leur histoire. Alors ce sont d’autres qui l’écrivent à sa place, les Russes, les Occidentaux… et disent ce qui les arrange. L’enjeu c’est la mémoire. Pour comprendre 1996 il faut remonter au 19e s., à 1944, mais qui se souvient des précédents conflits caucasiens ? L’histoire des Tchétchènes fut confisquée, détruite, ré-écrite par les Russes. La mémoire des peuples, Florent Marcie y travaille, comme une obsession. Il veut créer une Fondation du documentaire. A la fin du film on se demande s’il n’est pas trop tard, si l’âme de ce peuple trempée de soufisme et de chamanisme n’est pas déjà morte.
Florent Marcie tente d’expliquer pourquoi la Russie s’acharne sur la Tchétchénie qui ne représente aucun enjeu stratégique (pas d’intérêt géopolitique, ni économique, pas de ressource à piller, 0,1% du territoire de la Fédération, la taille de deux départements français). Alors pourquoi ? Les réponses qu’il donne plongent dans l’irrationnel, il faut un bouc émissaire pour la Russie, occuper l’armée, flatter le nationalisme russe. Et malgré les flagrants manquements aux droits de l’homme, l’Europe ne dit rien pour ne pas se voir couper ses approvisionnements.

Florent Marcie dit encore, « la complexité croissante du monde fait de plus en plus peur. Il faut des idées simples. En France nous utilisons finalement peu notre liberté. Les médias ne cherchent que quelques coups d’éclats et puis plus rien. Le monde des médias est fragmenté, cloisonné dans des métiers ». Lui s’approprie les technologies pour être autonome et veut prouver que chaque peuple peut écrire son histoire.


(*) MK2 Beaubourg.
(**) Pour en connaître plus sur cette guerre coloniale contre un Etat qui avait acquis son indépendance en 199 et sur ce conflit complètement hors-la-loi du point de vue du droit international visionnez « Massacre en Tchétchénie », diffusée sur Canal+ le 6/9/2004. Elle raconte une opération « antiterroriste » menée par l’armée russe en mars 2000 contre un village tchétchène, en s’appuyant sur des vidéos d’une extrême violence tournées par des officiers russes.