Le «ça» était de mauvais augure. La visite de Belleville organisée par l’association «ça se visite !»(*) a tourné autour du «ça» et du «on» dans l’imprécision des faits, des dates, des hommes, des lieux, dans un anecdotique forcément partiel et partial offrant une vision rêvée et fantasmée du quartier, boboïsée à souhait.
L’idée m’avait pourtant séduit. Faire visiter différemment un quartier par ses habitants, favoriser la convivialité… J’avais déjà bien potassé l’histoire et l’actualité du quartier pour rédiger l’article de Wikipédia sur la rue Ramponeau. J’avais plein de questions en tête.
Mais rien ne fut dit, ou plutôt tout a été enjolivé. Offrir ce que les gens attendent, ne pas déranger, n’est-ce pas le propre du mauvais tourisme ?
Ce qui aurait dû être abordé :
– le village, pourquoi il n’est plus (rythme de vie, populations, commerces…) ? Pourquoi demeure-t-il dans le discours (une perception, un besoin…) ?
– la gentrification : par qui, comment, qu’est-ce qui la distingue de celle des autres quartiers ?
– qui vit dans le quartier : (population, évolution, brassage, …) où sont les Juifs, les Arméniens, les Italiens… dont on nous a parlé ? Qui les a remplacé, dans quelle proportions ? Peut-on réellement parler de métissage où bien de simple juxtaposition ?
– le phénomène chinois : il aurait fallut expliquer la crispation sur le sujet plutôt que de l’amplifier ! Comment expliquer qu’un quartier traditionnellement traversé par des populations immigrées rejette les Chinois ? Le dernier arrivant est-il toujours mal accueilli ? Quelle est l’adhérence de cette communauté au quartier ?
– quelle est la nature des problèmes sociaux du quartier, en quoi se distinguent-t-ils des banlieues ?
– quels artistes vivent à Belleville, qu’est-ce qui les fédère, intellectuellement, socialement, artistiquement ?
– quelle est la nature du commerce, y reste-t-il un peu d’industrie (textile…) ?
– quels enjeux pour demain ? , comment peut-on imaginer le quartier dans dix ans ?
– quelle est l’action de la ville, des associations… ?
Évidemment répondre à ces questions requiert un investissement réel mais c’est la seule condition pour sortir des clichés de Belleville (le village miraculeusement préservé, la cohabitation harmonieuse des populations, les immeubles-jardins, les Chinois qui envahissent…).
Les vrais guides-conférenciers ont donc de l’avenir face à ceux qui s’intitulent accompagnateurs-révélateurs. Sauf que les premiers n’occupent pas ce créneau de la découverte socio-économique. Une forme de tourisme qui m’intéresse tant en France qu’à l’étranger et qui me semblerait plus riche que celle que l’on pratique orientée vers l’histoire et le soleil et qui nie les peuples du présent. J’ai ma petite idée sur le sujet, j’y reviendrais c’est sûr !
Je suis sans doute dur pour « ça se visite » et pour notre accompagnatrice qui a sans doute fait de son mieux. Mais la formule doit être impérativement améliorée. Car tout ne fut pas noir pour autant. Nous avons rendu visite à l’atelier du graveur mexicain Raoul Velasco(**) ancien président des AAB(***) qui nous a parlé avec amour et intelligence de son métier. Le retour de l’artiste dans la cité, de la nécessité pour lui de regagner noblesse et légitimité loin du marché de l’art et de l’abstraction absconse. Détail touchant, son atelier fut celui de Thierry Vernet le compagnon de Nicolas Bouvier dans l’Usage du Monde.
(*) Le site de ça se visite
(**) l’atelier de Raoul Velasco et Kristin Meller au 49 bis, rue des Cascades
(***) Ateliers d’Artistes de Belleville
Autre halte : l’atelier déjanté de Pedro Dorian de la rue Dénoyez : http://pedrodorianblog.canalblog.com/