Devinette (très) contemporaine. Un musulman reçoit des amis à déjeuner. Ces derniers se proposent d’apporter un bon vin pour leur seule consommation. Sachant que l’hôte […]
Me voici de retour au Sénat pour la 2ème fois de la semaine et la 3ème fois de l’année. Un Sénat résolument tourné vers le monde. La Syrie, le Sahel et aujourd’hui l’Inde pour une journée(*) consacrée à ce pays que tous les intervenants qualifient sans l’ombre d’un doute de puissance économique du 21e siècle. Toute récession semble inimaginable. Et tous n’auront de cesse de comparer l’Inde à la Chine pour en souligner chaque fois les profondes dissemblances. Jean-Pierre Raffarin ouvrait la session en précisant d’emblée que l’Inde ne représentait qu’un tiers du PIB de la Chine avant d’exhorter nos PME à foncer vers ce pays qui représente moins de 2% de nos exportations. Ce cycle de conférences étant tout sauf désintéressé, notre ancien premier ministre y a parlé aussi du rôle de l’Europe dans la défense de nos marchés. Les puissances se mettent en ordre de bataille… économique. Le 21e s. sera plus que jamais un affrontement de blocs recomposés.
Avec plus de brio, Christophe Jaffrelot, jeune directeur du CERI, nous expliquait avec l’aisance brillante d’un conférencier, comment cette vraie démocratie (**) et ce vrai capitalisme (***) ces deux critères de notre «modernité» s’accommodent très bien, sont portés même, par un système social aussi politiquement incorrect que celui des castes. Je ne détaille pas sa lumineuse démonstration qui reposait sur le choix de la discrimination positive dès l’époque coloniale dont la conséquence fut la transformation des castes en groupes d’intérêts, groupes assurant leur « horizontalisation » et une réelle stabilité démocratique. Le capitalisme, selon lui, fut et reste porté par la caste des marchands, celle des familles Tata par exemple passées du commerce à l’industrie, totalement désinhibées de la réussite. Jaffrelot pose deux bémols à cette croissance économique spectaculaire. Son faible impact sur le développement et la stagnation de l’agriculture. Voilà qui était l’exact conclusion – à une autre échelle il est vrai – de mon mémoire croissance et pauvreté au Mozambique.
Une autre conférence intitulée «Démocratie et croissance indiennes» permit de juger de la vitalité du débat économique, social (et démocratique) indien. Vaiju Naravane, correspondante de The Hindou s’est énergiquement opposé aux propos de Malvinder Mohan Singh, PDG de Ranbaxy un important groupe de génériques, qui ne jurait que par le marché. La journaliste ne croyait guère à croissance inclusive sans intervention de l’Etat. Un débat bien de chez nous. Jacques Attali (PlanetFinance) viendra rappeler que côté micro-finances plusieurs banques indiennes essayent de rattraper le retard sur l’air de «les pauvres sont un marché».
Il a été aussi présenté quelques différences entre Chine et Inde.
- Inégalités : en Chine elle opposerait ville et campagne ; en Inde les disparités sont très importantes en ville comme à la campagne.
- Education : contrairement à la Chine, l’Inde a un fort taux d’analphébatisme mais dispose d’une élite très bien formée.
- Main d’oeuvre : le maintien d’une population pauvre, et donc d’une main-d’oeuvre bon marché, dope la croissance indienne.
- Exode rural : l’exode rural a un autre visage dans le cas chinois. C’est un exode sans statut, avec un horizon court. Au terme de quelques années le travailleur rentre au village pour vivre de ses rentes. En Inde il s’agit d’un exode classique, sans retour.
- IDE : en Chine l’investissement direct étranger est beaucoup plus fort qu’en Inde.
- Démographie : la pyramide des âges est plus défavorable en Chine qu’en Inde en raison de la politique de l’enfant unique.
Dans ma perspective d’une autre curiosité pour le voyage, j’ai évidemment apprécié quelques sorties des intervenants (français et indiens) sur notre vision biaisée de l’Inde :
- Il faut repenser l’Inde en la sortant de son contexte exotique
- La spiritualité indienne est un peu mythique
- Il faut cesser de stigmatiser les sociétés du Sud avec arrogance, pointer en permanence du doigt ce qui nous semble « anormal » en se considérant comme le centre du monde
- Il faut d’abord comprendre avant de juger
- Il n’y a pas de miracle indien mais un processus
- Il faut en finir de l’enchantement de l’Inde par les médias
- Il faudrait s’entendre sur ce qu’est une classe moyenne indienne
- Satyajit Ray est un inconnu en Inde et Bollywood n’est pas le cinéma indien (il représente à peine 20 % du cinéma)
- Notre peur de la Chine et de l’Inde nous renvoie à nos faiblesses. Qu’avons-novs fait de nos entrepreneurs ?
(*) Les rendez-vous citoyens du Sénat. Samedi 31 mars. Programme. Rediffusion partielle sur le site de la chaîne Public Sénat.
(**) élections libres, cour suprême indépendante, liberté de la presse
(***) depuis 91 le marché régit la vie économique, bourse de Bombay
Bibliographie (très) sélective :
– Pavan K. Varma, Le défit indien
– Christophe Jaffrelot, L’Inde contemporaine
– Jackie Assayag, La mondialisation vue d’ailleurs
– Guy Sorman, Le génie de l’Inde