Tenue de bain et lunettes de soleil. Ce week-end sur les berges de la Seine c’était Paris plage en plein hiver ! On peine à en profiter sans un sentiment diffus de culpabilité. Et si tant de douceur devait se payer tôt ou tard ? Je ne sais pas si vous avez remarqué mais on ne parle plus de la pluie et du beau temps avec la même légèreté depuis que le spoutnik de grand-mère n’est plus la cause avérée du dérèglement climatique.
Qui va payer donc ? L’excellent documentaire «Un fleuve humain»(*) projeté ce soir dans le cadre du festival Cinéma du réel désigne déjà des perdants. Au Mali, dans le delta du Niger l’eau qui se fait rare c’est du poisson qui disparaît, du fourrage en moins et plus de pauvreté pour ceux qui vivent du fleuve. Mais ce film en tout point exemplaire ne se résume pas à cette thèse, c’est un contre-pied au documentaire formaté classique où le réalisateur :
- prend le temps de montrer, sans envolées lyriques, pour que le spectateur s’imprègne des gestes, du labeur… dans une démarche d’empathie,
- s’efface dans le respect de la parole de l’autre qui se développe naturellement, dans sa langue,
- ne sacrifie pas aux modes (le genre, le changement climatique par exemple !)
- ne cherche pas à tout traiter mais procède par petites touches sensibles bien plus humaines et convaincantes,
- met en jeu une vaste palette de sentiments : l’amour maternel et filial, la solitude, le rêve, la fierté d’avoir réussi, la dignité… mais ne joue ni sur la compassion, la charité, le misérabilisme ou le voyeurisme,
- s’éloigne radicalement de tout folklore dévoyé, de la tribu perdue et idyllique qu’il faudrait protéger et sauver.
Beaucoup de qualités qui font chaud au coeur quand on voit les piètres reportages qu’on nous propose. L’ Echappées belles(**) sur le Sud algérien hier soir est assez représentative de cette tendance à la visite express qui vire au pire de ce que les anglo-saxons appellent le reality-tourism.
Le discours se veut novateur « La promesse de cette Echappées belles tient en deux mots : voyage authentique » proclame d’emblée son animateur, « Le Sahara au quotidien n’est pas le reflet des fantasmes européens qui occultent la vie des hommes qui ont choisi d’y vivre » bien a-t-on envie de dire. Mais que nous montre t-on ? Dans cette émission saucissonnée on passe de Tamanrasset à la Bolivie (folklore) du Mékong aux plages de Normandie avec un zoom sur une tribu de Djanet et Ghardaïa deux villes distantes de plus de 1500 km ! Les « témoins » sont sommés de dire ce qu’on attend d’eux. L’émission ne semble mettre en valeur que son animateur. Le summum est sans doute atteint lors de l’interview d’un moine de l’Ermitage du Père Charles de Foucauld : 1 mn chrono. On nous avait dit « Nous visiterons Djanet » : on n’en voit que l’école. De Tamanrasset, 100 000 habitants ce n’est pas rien, on ne nous présente qu’un vendeur de chèche et des chameaux : bonjour les clichés. Comment vit-on ici ? Nous n’en saurons rien.
Pour cet antidote que tu nous sers avec ton « fleuve humain », de tout coeur, merci Sylvain.
(*) Un fleuve humain. Sylvain L’espérance. Canada. 2006. Extraits d’interview sur un précédent film.
(**) Le site de l’émission L’Echappées Belles (France 5)