En vue de prochains voyages en Asie du Sud-Est je me suis plongé dans l’étude socio-économique de Singapour pour tenter de comprendre comment, cette cité-État d’à peine 700 km² et peuplée de 4 millions d’habitants, a atteint une prospérité sans équivalent dans le monde depuis sa création en 1965. Comment ce pays pauvre s’est hissé aux standards de vie de pays industriels tant en matière d’éducation que d’espérance de vie, de logement, de loisirs… Une question cruciale pour d’autres Sud en quête de modèle de développement.
Le symbole de la réussite de Singapour c’est sa célèbre compagnie aérienne régulièrement primée, véritable succès commercial au chiffre d’affaires qui dépasse celui d’Air France. C’est aussi SingTel (télécom) largement présente en Inde, en Australie, en Thaïlande… C’est également son activité portuaire, aéroportuaire, technologique et manufacturière dominée par la Singapore Inc, un consortium semi-public.
Quelles sont les clefs d’une telle réussite selon Rodolphe de Koninck(*) ?
- une tolérance zéro pour la corruption
- l’éducation axe de progrès prioritaire
- la maîtrise de la pluralité linguistique
- une ambition mondiale : dès son invention en 1819 par le britannique Stamford Raffles ce comptoir cosmopolite de l’East India Company ancré au coeur du monde malais a joué à fond la carte de la mondialisation
- une méritocratie largement acceptée
- une stabilité politique permettant le recours aux multinationales
- une armée au service de l’indépendance de l’Etat et de la stabilité régionale
- un État-entrepreneur
- une expansion et un remaniement permanent du territoire aux besoins de l’économie
- une évolution de la qualification de la main-d’oeuvre
- le développement de l’attrait touristique
- une stricte répartition des nationalités au travail comme dans le logement (chinois Baba, bugis, malais, arabes, arméniens, indiens…)
- une politique sociale ambitieuse (en matière de logement par ex.)
Rodolphe de Koninck résume la réussite de Singapour à la relation étroite entre mondialisation, transformation de son territoire, innovation et contrôle social. Le tableau de ce pays le rapprocherait d’Israël, avec l’entente nationale et régionale en plus. Bien sûr le modèle n’est pas sans contrepartie. Citons :
- la lutte permanente pour l’innovation et l’excellence
- la souplesse demandée à la population pour s’adapter au contexte international
- la forte dépendance extérieure (y compris pour la moitié de son approvisionnement en eau)
- une gouvernance pesante (parti au pouvoir indélogeable, presse auto-censurée, paternalisme et autocratie, poids sécuritaire)
- la perte de repères de la population
- la pollution
- le recours à une main-d’oeuvre immigrée non assimilée (600 000 étrangers)
Pour savoir si un tel modèle est reproductible il faudrait faire la part de l’histoire, de la culture, de l’opportunisme, des atouts, de la géopolitique… mais il est clair qu’il y aurait de quoi apprendre de ce minuscule pays. En commençant par l’Afrique où aucune compagnie aérienne n’arrive à s’imposer malgré la forte demande de vols continentaux.
(*) Rodolphe De Koninck, Singapour : La cité-État ambitieuse. Asie plurielle. Belin, La documentation française. 2006.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Singapour, un modèle ? ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2007/03/singapour-un-modele/>