Je poursuis ma découverte de la ville. Le cœur historique, la rivière qui, malgré les apparences, n’en est pas une mais plutôt une crique comme à Dubaï. Je fais les classiques avant de m’attaquer à mon sujet. Je prends la mesure et le pouls de la ville. Et déjà je note les caractéristiques du tourisme à Singapour. Beaucoup de visiteurs du pays ou d’Asie, un tourisme qui cherche a défendre des valeurs : le travail bien fait, la peur de perdre une indépendance chèrement acquise (l’épisode japonais est constamment rappelé), l’absence de complexe envers l’argent mais aussi l’entraide entre générations, la cohabitation des communautés… Car Singapour est une ville au présent, qui n’a de réelle existence qu’au 19e s. Elle est fière de sa réussite et des moyens qui lui ont permis de rivaliser en niveau de vie avec les grandes capitales européennes. Elle a donc moins de mal que les autres à parler d’elle au présent même si elle semble prisonnière des formes du tourisme culturel classique, qu’elle imite (comme en tout) parfaitement. Parfois l’élève dépasse le maître. La visite du musée des Civilisations asiatiques est sur ces points très éclairante.
Le tourisme est un secteur économique presque comme un autre. On y vend des produits adaptés à une clientèle ciblée. C’est un fait. Il n’y a plus guère de naïfs pour penser qu’il s’agit d’une forme d’hospitalité moderne et désintéressée même parmi les voyageurs individuels. S’agissant de l’exploitation d’un patrimoine national (naturel ou culturel), l’intervention de l’Etat est évidemment déterminante dans ce secteur. Il octroie des droits d’exploitation, limite ou au contraire insuffle et amplifie les initiatives du secteur privé. Ces choix sont dictés naturellement par des impératifs économiques et sociaux. Attirer des touristes, rentabiliser des investissements, créer de l’emploi… mais pas seulement. Par ses choix le pays hôte se met aussi en scène. Il va, plus ou moins consciemment chercher à maîtriser sa représentation. Il va travailler l’imaginaire du visiteur qu’il soit étranger ou citoyen. Il privilégiera telle ou telle représentation. Ainsi le voyageur du présent doit-il non seulement voir mais aussi avoir un regard critique, un recul, sur ce qu’on lui montre… et ce qu’on lui cache. Prenons l’exemple de l’Asian Civilisations Museum. Comment expliquer la création d’un musée des civilisations asiatiques à Singapour. Vu l’ambition du thème ce n’est pas un choix à la légère. Veut-on par là signifier que Singapour est le carrefour de l’Asie ? Pourquoi une salle dédiée à l’Islam très orientée connaissance et tolérance ? Quel lien avec le Koweit principal dépositaire de cette collection ? Le voyageur du présent devrait disposer de ces clefs. Mes notes dans le désordre. Seule AH n’est pas dispensée.- l’ACM est au meilleur des standards occidentaux : scénographie professionnelle, librairie, restaurant, borne interactive, espace enfant, ateliers…
- l’ACM met à disposition une borne permettant l’envoi gratuit de cartes postales électroniques au couleur du musée incrustant sa propre photo prise sur le vif et invitant le destinataire à Singapour. Excellent coup marketing.
- Comment décrire une civilisation passée ? Quelle est la conséquence de l’inventaire exclusif d’objets cultuels, d’art, d’artisanat dans la représentation que l’on se fait de cette civilisation ? Effet vitrine réducteur. Par analogie, qu’exposerions-nous si nous devions le faire ? Des œuvres d’artistes contemporains ? Les tenues de gala et de mariage ? Un caveau en marbre, des colliers ? Où décrit-on les civilisations contemporaines ? Qu’est-ce qui empêche de le faire ?
- Expo Singapore River. Les communauté qui ont fait Singapour. Chinois, Indiens, Européens, autochtones (Orang Laut), mais rien sur ceux d’aujourd’hui (Malais, Philippins et autres immigrés) qui forment le gros des troupes de maçons et de terrassiers des immenses chantiers de construction !
- Singapour est une ville du présent et du futur. Alors à quoi lui sert de parler de son passé ? (Se) rassurer ? Se définir comme nation malgré sa jeunesse et sa diversité ethnique ? Former une nation ?
- On n’hésite pas au musée a parler des projets. Barrage d’eau douce en amont de la rivière avant qu’elle ne se jette à la mer. On donne l’enjeu. La sécurité en eau pour 2061 à l’expiration des accords d’approvisionnement par l’Etat malais. La consommation quotidienne est de 300 000 gallions/jour, soit l’équivalent de 500 piscines olympiques.
- Description d’une famille Chettiars fin du 19e s devenus banquiers jusqu’à la fin des années 70. Au-delà de 70 on dit seulement qu’il font des métiers variés. Dommage de stopper la saga si tôt. C’est le présent qui m’intéresse dans sa filiation au passé ! Le présent est-il confidentiel, doit-il rester anonyme ? Comment contourner un tel obstacle dans sa représentation ?
- On cite le coût du projet d’assainissement de la Singapore River. 200 millions S$. On voit rarement ça en France.
- Importante collection de Kwek Hong Png, fondateur du Hong Leong Group. Self-made man chinois arrivé à Singapour en 1928 sans un sou en poche. «one should give back to society what one has gained from it». Une telle place dans le musée souligne-t-elle le modèle partagé de réussite à la singapourienne ? Réussite et engagement moral ?
- ACM : asian rice (borne interactive). 7000 ans de culture du riz au moins en Asie du SE. Mais pas plus de 1000 ans dans les îles. Thématique abordée : roots, people, culture, legends myths, rice today. 90 % du riz mondial pousse et est consommé dans l’Asie des moussons.
- Le tourisme comme forme capitaliste du patrimoine. Cette définition me semble pertinente. Ens. de valeurs mobilières (œuvre d’art, d’artisanat, cultuel…) ou immobilière (château, golf, littoral…). Mise en valeur de ce patrimoine pour bénéfice direct ou indirect.
- Importance de l’image de Singapour pour son business. Pour attirer finance, banque, expatriés nécessité d’une image rassurante, familière.
- Le terrorisme est au tourisme, ce que la vache folle est a l’élevage bovin. Une catastrophe économique. C’est joli non ?
- Café chicha Sahara sur Boat Quay. Folklorisation mondialisée. Perte du sens premier. Re-creation de sens. Transfert culturel (au prix de 21 S$ la chicha !)