Neuf jours déjà que je suis à Malacca. Après ce temps d’acclimatation à la Malaisie je me rends compte que trop fidèle à mon sujet je n’ai pas photographié tout ces petits détails qui font la beauté attachante du passé. Une courbe sans compas, une céramique, des couches d’enduit… on a beau s’intéresser au présent, difficile de ne pas succomber à cette esthétique du détail, à ces lieux qui ont épousé des vies, à ces formes créées par des mains… Impossible d’en dire autant des immeubles contemporains dont on apprécie les lignes, le concept voire l’audace et le génie de l’architecte mais sûrement pas les mains qui les ont construits. Dans les prochains siècles qu’elle émotion se dégagera de nos pavillons, de nos appartements standardisés peuplés d’articles fabriqués en série ? Sans doute pas grand chose. Mais je m’égare. Ce sont là réflexions sur le voyage du futur et mon sujet c’est le présent. Alors sous un ciel azur comme rarement sous ces latitudes j’ai arpenté une dernière fois les ruelles de Chinatown, fixé à travers l’oeil humide de mon objectif une enseigne, une brassée d’encens un patio, pour mon éternité.
Après des adieux douloureux à ma délicieuse pension Sama-Sama (bye-bye Gaby & Sung, les chats, le chien sur le seuil, les poissons rouges, les mobiles, les bougies qui le soir éclairent le patio peuplé de bassins et de bouddhas…) j’ai pris la direction de Malacca Sentral. En deux heures d’autoroute à travers des collines de palmiers, de petites jungles j’étais rendu au coeur de KL.
KL. Ce n’est pas un snobisme. Tout le monde l’appelle comme ça. Peut-être que Kuala Lumpur ça sonne trop mal en malais. Imaginez que votre capitale s’appelle «confluent boueux», pas terrible non ? Et puis Singapore, clairement le modèle ici, se fait appeler S’Pore alors quoi de plus naturel d’utiliser KL pour la capitale de la M’sia.
S’Pore le modèle. Mais inégalé. Ici la circulation des bus et des automobiles est étouffante. Le piéton n’a que le droit de passer d’un centre commercial climatisé à un autre. Les voies enjambent joyeusement les immeubles disparates. Où que vous soyez à S’pore au contraire vous avez cette impression d’espace. Que la ville est sur-dimensionnée. Un comble quand on connaît la densité de ce minuscule pays. Comme quoi les choix d’urbanisme (où leur absence) peuvent transformer la vie des habitants. KL n’a pas ce côté souvent trop clean de S’Pore. On est plus sur un standard français
J’ai acheté hier – un peu à contre-coeur tant je tiens à garder mon bagage minuscule comparé à celui des jeunes backpackers océaniens – un livre intitulé «I am muslim»(*). Un titre peu original, si ce n’est que l’auteur est une journaliste malaise de la classe moyenne-supérieure, ayant vécu longtemps à l’étranger qui pousse habilement les limites de la censure par divers subterfuges. Elle rapporte ce que lui ont dit des chauffeurs de taxi, des mails anonymes, ce qu’elle a vu et vécu à l’étranger en évitant toute référence à la politique.
Elle montre une société en proie à ses démons, cherchant sa voie dans une solitude d’autant plus profonde qu’elle ne peut s’exprimer librement. Elle aborde beaucoup de thèmes, le racisme, le dangereux repli des communautés, l’équation malais=musulman, l’émancipation de la jeunesse, la renaissance du hijab, la sexualité avant le mariage, l’homosexualité, l’internet. Un tableau excessivement vivant, souvent drôle, avec ses contradictions de ce qui forme la société malaise. Un tableau que n’apprécieront certainement pas les rigoristes.
(*) I am muslim, Dina Zaman. Silverfishbooks. Mars 2007. www.silverfishbooks.com
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– Dernier tour de Malacca
– Malacca-KL
– Installation a la Backpackers Traveller Inn