Je me plains souvent en France de l’image que donnent les médias de la situation des pays au fil de l’actualité. Combien de voyageurs ont répondu «Non, non ici tout est calme, je n’étais même pas au courant» à des proches inquiets restés au pays après l’annonce d’un évènement très localisé. La faute n’en revient pas forcément aux médias. Par nature l’actualité parce qu’elle focalise déforme la perception globale. Mêmes rapportés fidèlement une accumulation de faits présentés hors contexte, finit par donner une impression générale assez éloignée de la réalité d’un pays. Pensons à l’Iran par exemple.
Ce phénomène n’est pas propre à la France. Après l’article du Malay mail aujourd’hui(*) j’imagine volontiers des Malaisiens inquiets pour leurs proches vivant en France pensant que nous frôlons la guerre civile. Car chacun projette ses angoisses. Ici la défiance entre Malais et Chinois semble pouvoir dégénérer facilement même si la dernière émeute grave remonte à 69. Le terme d’ «immigrant-heavy suburbs» utilisé dans l’article résonne differemment en Malaisie. Il renvoie aux quartiers raciaux et éventuellement aux bataillons sous-payés mais industrieux de migrants mais sûrement pas à celle d’une jeunesse au chômage et en quête d’identité. Car ici il y a du travail. Des affichettes partout sur les devantures des boutique, des bureaux… A l’hôtel hier on cherchait d’urgence un interprète espagnol. L’industrie hôtelière n’attire pas les Malaisiens. Sur les 71 000 employés 16 000 sont officiellement immigrés(**) Une des vertus du voyage au présent devrait être d’aider à mieux appréhender les données de l’actualité.
Avant de conclure ce séjour à KL je me suis intéressé aux touristes arabes. Ceux qui viennent du Golfe. Ce qui leur plaît ici ? Un pays musulman respectueux d’une sensibilité musulmane, la sécurité, des services de bon standing, des tarifs abordables et un petit air de liberté. Dans Bukit Bintang leur quartier préféré leurs devises sont convoitées. Sous-titres arabes, cuisine Middle-East… on a même créé un Arab square planté d’une fontaine-cafetière nonumentale. Des femmes en noir de la tête au pied tiennent leur mari par la main, barbu broussailleux en short, tshirt et tong. Ca reste modeste. On prend le métro comme tout le monde, loin de la caricature des rois du pétrole. Plutôt la classe moyenne, et oui ça existe aussi dans le Golfe ! Selon une étude leurs dépenses en Malaisie s’élèveraient à 1200 RM/jour par famille soit 250 euros. Après les Asiatiques et les Européens ils se classent troisièmes visiteurs en nombre mais premiers en dépenses par tête. Alors on les soigne. La presse a rapporté les plaintes de ces touristes mécontents. Taxis peu futés, plages sales, le Ministre du tourisme a juré de prendre des mesures.
J’ai passé la fin de la journée dans les airs. A la 4eme plus haute Tour Telecom du monde et aux plus hautes tours jumelles de la planète depuis le 11 septembre 2001, avant de flâner au très chic centre commercial KLCC. J’ai loupé l’ouverture du French art festival par Bertrand Chamayou qui interprétait ce soir au piano Debussy, Dutilleux et Ravel. Dommage je ne verrai pas la salle du Dewan Philarmonik Petronas dont les mélomanes vantent les mérites. Mais plutôt que de ronfler dans un fauteuil trop confortable j’ai préféré flâner de nuit dans les jardins, bassins et tours féeriques de KLCC.
(*) The Malay mail. 9/5/2007. Page 1 et 15.
(**) The Malay mail. 9/5/2007. Page 12.
===== Programme et autres notes
– Beaucoup de cafés sont des hot-spots Wifi. Comme à Belleville on s’y plante des heures avec son portable ! Signe tangible du niveau de développement de jolis Mac tout blancs trônent sur les tables.
– Ain Arabia
– visite Tour Telecom a 250 m d’altitude
– visite Twin Towers plus hautes tours jumelles au monde (410 m). Ballade sur le pont suspendu juste avant la fermeture de 19 h. (42e de 84 étages). Vue sur les superbes jardins.
– visite de l’expo photojournalism. Rien de détonnant. Une première avancée néanmoins. 69 traité avec une photo du couvre-feu. Étonnante photo symbole du départ du prince anglais venu représenter le royaume uni à la signature de l’indépendance. Premier ministres et sultans saluent presque tristes. Parcouru le livre d’or de l’expo. Aucun sens critique. Juste des «I’m proud to be Malaysian”. Étrange.
– Dîné d’un soto une soupe originaire du Kelantan. Délicieux bouillon ou flottent des
ciboulettes d’ici et même des cacahuètes grillées. Quelle cuisine et saine en plus ! A midi riz sauté aux fruits de mer et ananas.
– Voyager au présent ce ne sont pas forcément de nouveaux sites à visiter comme on pourrait l’imaginer (usines, habitats, banlieues, …) Plutôt une appréhension différente de ce que l’on voit. C’est aussi questionner, remettre en cause son propre monde en les confrontant à d’autres pratiques, comportements, choix, visions.