Réveil au son du pilon. Ma pension est aussi la demeure de Balinais et l’on s’active pour Galungan. On sacrifie des animaux domestiques pour les cérémonies et le repas de demain sera le symbole de la victoire de l’homme sur l’instinct animal. Les poules qui picorent mon carré de pelouse autour de mon bungalow n’en mènent pas large.
Au soir j’ai assisté à la fameuse danse Kecak très révélatrice du rapport qu’entretiennent les Balinais avec le tourisme. Cette danse a la particularité de ne pas être accompagnée d’un orchestre de gamelans mais d’un choeur d’une centaine d’hommes qui émettent divers «bruitages» dont le plus caractéristique est le fameux «kecak kecak kecak» pour accompagner les danseuses. Cette performance n’est pas vraiment traditionnelle. Elle remonte aux années 30 et a été créée par Walter Spies, esthète et grand amateur de garçons, qui voulait épater ses amis de passage à Bali. La danse, profane, emprunte néanmoins des éléments au répertoire traditionnel religieux. Et puisque elle a plu les Balinais l’ont adoptée et transformée pour une large diffusion. Elle figure désormais au répertoire des cinq spectacles proposés quotidiennement aux touristes de passage à Ubud. Si l’on vous parle de transe rassurez-vous tout cela n’existe plus et depuis fort longtemps. Dès 1951, Roger Vailland dans Boroboudour, voyage à Bali, Java et autres îles notait : «Ce qui a perdu sa signification même, à Bali, c’est le contenu de la transe : plus personne ne croit qu’elle met la sanghyang en contact avec les divinités.» Curieusement je n’ai pas reconnu un seul indonésien dans l’assistance.
J’ai vu et j’ai lu(*). Bali ne serait plus Bali. Bali ne serait plus authentique. Sortons du jugement moral. De ce qui serait vrai ou faux, bien ou mal. L’Occident doit-il reprocher aux pays pauvres de ne pas avoir préservé son authenticité après avoir bouleversé lui-même ses propres traditions ? Se pose t-on la question de savoir si la Corse est toujours la Corse avant d’y passer ses vacances ? Force est de constater que Bali se fond à merveille dans l’imaginaire de l’île exotique au point de se façonner au désir du touriste et même de devenir son stéréotype. Un style nouveau, inventé, est né fait de tradition et de modernité. Un climat fait de plans d’eau, de statues de Bouddha, de coupelles de fleurs fraîches, de peinture, de sons, de danses, de zen, de médiation, de yoga, de massage, de petits plats bio, de spa… Harmonie serait le maître mot, la nature, l’homme, les dieux…
Pourtant Bali n’est guère plus harmonieuse que le reste du monde. Elle se débat avec des problèmes contemporains comme toute les sociétés ouvertes. On y trouve encore des castes, des mariages arrangés, des immigrés malmenés, de la corruption, de la pollution, d’amputation du terroir, de la pauvreté… Mais ce que certains dénoncent haut et fort ailleurs ici on le tait. Sa représentation séductrice est désormais suffisamment puissante pour masquer au voyageur sa réalité. Son authenticité est sans doute là. Une société bouleversée par les changements économiques et sociaux et dont le tourisme est une composante très forte.
(*) Bali, Autrement, série Monde, HS n°66, toujours d’actualité.
===== Programme et autres notes
Pour les Parisiens, à signaler une rencontre autour d’un livre qui a l’air passionnant. Mercredi 27 juin à 19h30
Rencontre-débat autour du livre dirigé par Taoufik Souami et Eric Verdeil : Concevoir et gérer les villes. Milieux d’urbanistes du sud de la Méditerranée (Economica).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, la ville constitue un enjeu social et politique majeur. Les autorités publiques y interviennent à travers plans et programmes d’aménagement, sans pouvoir toujours satisfaire la demande sociale. Les habitants s’imposent dans la production de l’urbain et construisent des parties entières. Entre ces deux manières de faire la ville, par en haut et par en bas, les professionnels locaux de l’urbanisme mettent en ouvre les décisions officielles et, en même temps, assurent quotidiennement l’interface avec les habitants. Ils ont longtemps été éclipsés par les urbanistes européens. Leur rôle est peu valorisé tant cette région reste tributaire de grilles de lecture essentiellement politiques qui laisse dans l’ombre le technique. Ce livre propose pour la première fois les principaux éléments de repère sur ces professionnels locaux du Maroc, de l’Algérie, de l’Egypte, de la Palestine, du Liban et de la Turquie et offre des éclairages sur la Jordanie, la Syrie et la Tunisie.
Le Genre urbain – Librairie
30, rue de Belleville – 75020 Paris
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Penampahan Galungan ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2007/06/penampahan-galungan/>