Plusieurs agences proposent de découvrir le «real Bali», avec scrupuleusement le même programme. Le copier/coller d’entreprise trahit le manque d’imagination nous confirme le guide et ruine le business par la sur-concurrence. Ce qu’il aurait pu ajouter c’est que le plagiat tue l’innovation. A quoi bon mettre un nouveau service ou produit sur le marché puisqu’il sera imité par d’autres sans que j’en retire de gains. Pire, un investisseur plus puissant s’emparera de mon idée et sa concurrence tuera même mon business avant que j’amortisse le coût de mon innovation. C’est un mécanisme courant dans les pays en développement qui concoure à la faible productivité et dissimule l’ampleur du chômage. Restaurants et boutiques avec deux ou trois clients par jour occupent une main-d’oeuvre à plein temps très mal payée à ne produire aucune richesse pour le pays.
Puisque pour mon étude je me devais de m’inscrire à cette excursion au titre alléchant j’ai choisi l’original qui se maintient en tête par des prouesses de marketing(*).
La formule à de quoi séduire. On vous hisse en minibus air-conditionné à Penelokan sur le rebord d’un vieux cratère d’où l’on a justement le matin une vue saisissante sur le lac et les volcans. Le petit déjeuner avalé on se rend à une plantation de café à laquelle on a greffé un petit jardin des plantes. Visite. «Quoi ces gros fruit ovales contiennent les graines du cacao, le manioc aurait la feuille du cannabis, cette orchidée donnerait la vanille, la feuille et la noix de bétel proviennent d’arbres différents, le poivre blanc sont ces petites billes vertes, le curcuma est un rhizome qu’on confondrait avec le gingembre, la cannelle n’est qu’une écorce, le clou de girofle est la fleur de ce grand arbre…» Dieu que nous sommes ignorants de ce que nous consommons ! Dégustation gracieuse de thé et café aux épices… ça sent la boutique qui effectivement n’est pas loin mais à des prix exorbitants et sans aucune garantie d’origine. Mieux vaux le marché de Belleville !
De là nous enfourchons nos vélos amenés par un petit camion, sanglons nos casques pour 35 km de cyclotourisme downhill comme le précise la brochure. Rien de très sportif donc. Sur les petites routes somptueusement décorées des Penjor de Galungan, nous ferons une dizaine de haltes :
- au temple où le guide va insister lourdement sur l’hindouisme balinais comme monothéisme ; les différentes représentations du Dieu unique, le rôle des prêtres, les castes et leur fonction
- au poste de village pour nous parler de l’organisation de la communauté
- à une fabrique de fausses antiquités où des sculpteurs sur bois produisent des Bouddha à la chaîne et imitent vermoulure et patine du temps
- à une fabrique de nattes tissées par une femme dans une petite exploitation familiale à base de bambou préalablement lamellé
- près d’une rizière où l’on fait trois récoltes par an (!)
- dans une ferme familiale où l’on décrit les cercles de la famille qui sont réunis dans un même enclos, l’orientation et l’usage des bale (le bâtiment de base). On apprend au passage que le repas balinais ne se prend pas en commun. Chacun va se servir à la cuisine où les femmes ont préparé le repas pour la journée. On découvre le poids de la communauté, du quand dira-ton, des mariages arrangés à 15 ans, des rôles dévolus à la femme et à l’homme
- dans un atelier de sculpture de panneaux de bois où l’on reproduit sans fin les mêmes modèles en tailleur sur un plancher pour quelques milliers de roupies par jour.
La visite s’achève à Ubud côté cuisine dans une auberge pour un menu dégustation avec canard, poulet, gado-gado, nasi goreng…
Que penser d’une telle visite par rapport au voyage au présent que je préconise.
Effectivement nous sommes sortis des lieux touristiques, nous avons quitté les plages, avons vu plus que rencontré des populations tout en effectuant une agréable promenade.
Plus que le Bali réel, c’est le Bali profond que nous y avons vu. Le Bali des villes et du tourisme n’est pas moins réel.
J’ai trouvé ce type de visite trop descriptive. Il y manque du contexte (qu’elle est le poids de l’agriculture dans l’économie balinaise, quelle est la place du riz, du café…), des enjeux (l’entretien des campagnes comme attrait touristique, à qui appartient la terre, comment se transmet-elle…) et de les dynamiques (comment le village se transforme, à quelle allure, que revendiquent les jeunes générations, quels sont les souhaits de la population, comment observe-t-elle les citadins et le tourisme…)
Répondre à ce type de question n’est pas le plus facile. Ça demande un effort de recherche de la part du guide et un minimum de bagage en socio-économie et en sociologie. La qualification du guide et la maîtrise de son sujet, son ouverture aux questions contemporaines sont les clefs d’un voyage au présent riche et crédible.
(*) Bali eco and educational cycling tour. 36 €.