En relisant certaines de mes notes et en parcourant les nombreux récits de voyage que l’on trouve sur le net je ne peux m’empêcher de penser à ces mots cruels de Lévi-Strauss : « Eh quoi ? Faut-il narrer par le menu tant de détails insipides, d’évènements insignifiants ? […] cette scorie de la mémoire : « à 5h30 du matin, nous entrions en rade de Recife tandis que piaillaient les mouettes et qu’une flottille de marchands de fruits exotiques se pressaient le long de la coque », un si pauvre souvenir mérite-t-il que je lève la plume pour le fixer ? »
En 1955 il ne s’adressait non pas aux voyageurs que nous sommes mais aux reporters de l’époque.
Plus loin » Pourtant, ce genre de récit rencontre une faveur qui reste pour moi inexplicable. L’Amazonie, le Tibet et l’Afrique envahissent les boutiques sous forme de livres de voyage, comptes rendus d’expédition et albums de photographies où le souci de l’effet domine trop pour que le lecteur puisse apprécier la valeur du témoignage qu’on apporte. Loin que son esprit critique s’éveille, il demande toujours davantage de cette pâture, il en engloutit des quantités prodigieuses. C’est un métier, maintenant, que d’être explorateur; métier qui consiste, non pas, comme on pourrait le croire, à découvrir au terme d’années studieuses des faits restés inconnus, mais à parcourir un nombre élevé de kilomètres et à rassembler des projections fixes ou animées, de préférence en couleurs, grâce à quoi on remplira une salle, plusieurs jours de suite, d’une foule d’auditeurs auxquels des platitudes et des banalités sembleront miraculeusement transmutées en révélations pour la seule raison qu’au lieu de les démarquer sur place, leur auteur les aura sanctifiées par un parcours de vingt mille kilomètres.«
Tout ça me fait dire qu’en voyage non seulement nous nous passionnons pour le passé, mais que nous voyageons aussi au passé, en gros comme le faisaient les explorateurs quelques décennies plus tôt lorsque le voyage était réservé à une élite. Le voyage serait à cette lumière que reproduction, imitation de l’exploration, d’une vaine découverte.
(*) Claude Levi-Strauss, Tristes tropiques, pp.13-14 . Extraits.