Je conclurais probablement mon étude sur le voyage au présent sur une note optimiste. Dans un monde où tout bouge, où les modes annoncent des tendances de fond, rien n’indique que le tourisme même de masse soit immuable et reste pétri de passé. Au contraire.
Une raison forte d’espérer m’est offerte par le Musée du Quai Branly dont je pointais récemment l’incapacité à présenter dans ses vitrines les sociétés « premières » face à la modernité, croulant sous le poids de l’histoire et de l’imaginaire de l’explorateur, des questions méthodologiques voire techniques. Puisque l’espace contraint des salles du musée ne peuvent exprimer la vocation contemporaine du musée, le présent ira s’afficher hors les murs. Le musée du Quai Branly lance pour sa deuxième année d’existence une ambitieuse biennale des images du monde baptisée Photoquai durant le mois de novembre(*).
Cette biennale dédiée à la photographie et à la vidéo contemporaines fera une très large part aux artistes non occidentaux. « Le monde regarde le monde » nous promet-on.
Le dossier de presse(**) – récupéré à la BNF lundi dernier – fourmille de références aux clichés touristiques et annonce une démarche véritablement militante de « redresseur » d’image. Extraits.
- [Le festival] rendra compte de la diversité des manières de percevoir le monde non-occidental aujourd’hui, de l’intérieur, par les artistes qui y vivent, loin des clichés que véhicule souvent une certaine photographie touristique. Aussi les photographes voyageurs européens et occidentaux laisseront-ils la place à des artistes issus des pays concernés et encore jamais montrés en Europe.
- Les images courent dans les yeux quand on évoque le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, la Russie Orientale, le Cambodge, le Congo, l’Iran, le Mexique, l’Inde… On en voit les couleurs brouiller les paysages que des visages éclairent dans des architectures naturelles ou urbaines, fastueuses ou misérables. Nous les connaissons ces images du monde qui ont nourri l’imaginaire de tant de générations d’européens et d’américains jusqu’à les transformer eux-mêmes en voyageurs illustres ou anonymes devenus aujourd’hui les touristes du quotidien.
Ces images du voyageur occidental ont peu de place dans Photoquai même si, ici ou là, elles se montrent pour rappeler d’où vient notre regard sur le monde. Un regard nourri aussi de ces photos de lutte contre la misère et le malheur, présentées ici par les associations humanitaires. - Les images du monde occidental circulant plus que celles du monde non
occidental, il est temps de découvrir les autres images. Combien de fois suis-je arrivé dans une ville, un pays avec ces images dans la tête, dans les yeux, soit exotiques, soit misérables, transformant l’autre en un être indéfectiblement différent de soi. Combien de fois ces images sont tombées ou se sont nuancées jusqu’à désirer d’autres images qui chaque fois se sont révélées exister par ceux-là même que l’on croyait autre. Ce qui montre que ce que l’on cherche à voir n’est pas ce que l’on ne connaît pas – et pour cause -, mais bien ce que l’on connaissait déjà par les mots et les images. Dés lors, une fois la porte poussée de l’autre regard, celui-ci présent s’est offert, pour ne plus jamais voir le monde d’une seule façon. - Montrer une image moderne des pays extra-européens : […] le monde occidental tel qu’il est vécu et perçu aujourd’hui par ceux-là mêmes qui y vivent. […] Une vision nouvelle du monde extra-européen, loin des clichés exotiques ou des perceptions sensationnelles des guerres et de la misère auxquelles les images ont – souvent – habitué le public européen.
- Cette sélection n’évoque pas pour autant une vision exclusivement positive, mais probablement une vision d’un Autre – si proche de nos préoccupations et comportements – qu’il n’est plus autre, qu’il n’est plus le barbare ou le « gentil sauvage », même si langue, pratique, couleur, environnement sont différents.
- A tout instant, partout dans le monde, une action importante pour ceux qui la vivent se déroule. Ce n’est pas forcément du malheur, lourd d’intensité ou de conséquences, pour une personne ou pour la foule. Pas d’envoyé spécial mais des photographes du « cru » susceptibles de nous faire vivre ce qui se passe là-bas, au quotidien comme dans la crise. C’est leur manière de voir qui tente de casser les visions souvent stéréotypées que nous avons du reste du monde. C’est là que les différences culturelles s’exprimeront, la diversité fera de cette manifestation une ouverture naturelle sur « l’autre ».
- A travers un catalogue édité à cette occasion et qui rassemble tous ces artistes, nous gardons la trace de cet « instantané du monde se photographiant » que Jean-Loup Pivin évoque et qui renverse les idées reçues de nos mémoires de touristes photographiques.
Puisque le voyage est avant tout question d’imaginaire, donc d’image, si celle-ci reflète mieux la réalité dans sa diversité il y a fort à parier que le tourisme s’en trouvera progressivement modifié. Cette initiative rejoint d’autres raisons d’espérer. Elle s’apparente au festival « cinéma du réel » qui se tient à Paris chaque année. Faut-il encore que ces initiatives gagnent le plus large public à travers des médias plus populaires telle que la télévision.
(*) Photoquai, Paris, 30/10/07 au 25/11/07.
(**) Le dossier de presse au 23 août.