J’ai trouvé un nouvel allié dans ma réflexion. Et de taille. Il ne s’agit pas moins de Roland Barthes qui dans ses Mythologies a consacré un texte mordant sur le Guide Bleu en revendiquant dans son avant-propos le ton provocateur employé : « Je réclame de vivre pleinement la contradiction de mon temps qui peut faire d’un sarcasme la condition de la vérité.«
Extraits.
De même que la montuosité est flattée au point d’anéantir les autres sortes d’horizons, de même l’humanité du pays disparaît au profit exclusif de ses monuments. Pour le Guide Bleu, les hommes n’existent que comme « types ».
[…] En général, le Guide Bleu témoigne de la vanité de toute description analytique, celle qui refuse à la fois l’explication et la phénoménologie : il ne répond en fait à aucune des questions qu’un voyageur moderne peut se poser en traversant un paysage réel, et qui dure.
Le spectacle est ainsi sans cesse en voie d’anéantissement, et le Guide devient, par une opération commune à toute mystification, un instrument d’aveuglement. En réduisant la géographie à la description d’un monde monumental et inhabité, le Guide Bleu traduit une mythologie dépassée par une partie de la bourgeoisie elle-même : il est incontestable que le voyage est devenu (ou redevenu) une voie d’approche humaine et non plus « culturelle » : ce sont de nouveau (peut-être comme au XVIIIe siècle) les mœurs dans leur forme quotidienne qui sont aujourd’hui objet capital du voyage, et ce sont la géographie humaine, l’urbanisme, la sociologie, l’économie qui tracent les cadres des véritables interrogations d’aujourd’hui, même les plus profanes.
Il restera à expliquer pourquoi un tel texte écrit en 1956 demeure d’actualité 50 ans plus tard.
Roland Barthes. Le Guide Bleu in Mythologies, p. 121 et suivantes qui s’achèvent sur une violente diatribe contre le « franquisme latent » du guide.