Sep 282007
 

Paris, Auditorium BNF, Jean-Noël Jeanneney et Jorge Semprun (c) Yves Traynard 2007Pas moins de deux anciens ministres (éphémères il est vrai) pour nous parler d’Images, mensonges et démocratie ce matin au grand auditorium de la BNF Mitterand. D’emblée Jean-Noël Jeanneney nous menace du « péril effroyable » que porte ce foisonnement d’images dans une démocratie. Reprenant à son compte les grandes phases de la diffusion de l’image de Laurent Gervereau – l’ère du papier, puis de la projection, de l’écran TV et enfin celle du cumul des technologies – l’ex-Président de la BNF voit l’ennemi dans le vrac, le désordre non organisé, non hiérarchisé. « Quand tout se voit, tout se vaut » disait René Char. D’autant que le public fait montre d’une vraie fascination pour l’image non contrôlée.
Cherchant a contrario les sources d’une méfiance aux images chez les monothéismes (l’iconoclasme, les caricatures,…) il plaide pour « un usage sage des images ». Si la caricature avec Daumier a joué un rôle important dans la naissance de la République, si les photos d’Abu Ghraib ont permis de dénoncer les dérives barbares de l’armée américaine, la transparence en démocratie a ses limites. « Pas de caméra au conseil des Ministres » pour respecter le temps indispensable à la délibération. Dans cette dialectique du sensible et du raisonnable, le développement de l’émotion ne doit pas se faire au détriment du rationnel. Mais la manipulation guette, tout particulièrement en temps de guerre où la tentation est grande, pour le moral et la sécurité des troupes, d’adopter des stratégies : interdire l’image, l’encadrer (correspondants embedded), en confectionner à des fins de propagande, divertir par son esthétisme (ex. du désert). « Les images ne mentent pas elles-mêmes ; on ment sur les images ». Jean-Noël Jeanneney invite à la vigilance tous les acteurs de la chaîne de l’image, du photographe au citoyen pour qu’on enseigne comment lire l’image, la décrypter (au travers d’émissions comme « arrêt sur l’image »). « Un effort sans fin, asymptotique à sa réussite ». Et de conclure avec René Char : «Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.»
Jorge Semprun acquiesce et renforce ce propos sur la guerre par des exemples historiques : le procès de Nuremberg et les camps qu’il a connus, les fausses preuves des Armes de Destruction Massives en Irak puis Abu Ghraib et les totalitarismes, avec l’exemple des images qui nous viennent aujourd’hui de Birmanie par téléphone.
Cette conférence s’inscrivait dans un nouveau festival de cinéma du réel(*) proposé par MK2 et la BNF qui se décrit ainsi : « La révolution numérique en marche bouleverse le monde des images. Les Européens consomment de plus en plus de programmes, sur des supports multiples et nomades. Leur intérêt pour les images du réel nourrit leur besoin d’information. L’offre audiovisuelle en expansion leur propose en permanence de nouveaux formats et des nouvelles approches.
Pourtant, la télévision et les nouveaux écrans – Internet, téléphonie mobile – ne sont pas suffisamment considérés comme des outils de savoir et de réflexion. L’ambition du festival est large et citoyenne : créer et animer en Europe un espace de débat pour une culture de l’image fondée sur une exigence de sens. » Une quête de sens que je vois très bien concerner le voyage et les « images » que nous captons lors de nos périples.


(*) Festival Européen des 4 Ecrans, MK2 et BNF.