Oct 142007
Dans La force de l’âge, Simone de Beauvoir, raconte son premier voyage en Espagne en compagnie de Jean-Paul Sartre en 1931. « Comme la plupart des touristes de notre époque, nous imaginions que chaque lieu, chaque ville avait un secret, une âme, une essence éternelle et que la tâche du voyageur était de les dévoiler ; cependant, nous nous sentions beaucoup plus modernes que Barrès par ce que les clés de Tolède ou de Venise, nous savions qu’il ne fallait pas les chercher seulement dans leurs musées, leurs monuments, leur passé, mais au présent, à travers leurs ombres et leurs lumières, leurs foules, leurs odeurs, leurs nourritures. » A Barcelone, ils décident alors de s’encanailler. « Convaincus d’après nos lectures que la vérité d’une ville se dépose dans ses bas-fonds, nous passions toutes nos soirées au « Barrio Chino » ; des femmes lourdes et gracieuses chantaient, dansaient, s’offraient sur des estrades en plein air ». Mais le présent était ailleurs. Un soir obnubilé par la recherche d’une église à visiter sans faute ils ne virent rien du drame social qui se jouait pourtant sous leurs yeux. « Les syndicats avaient déclenché une grève générale contre le gouvernement de la province. Dans la rue où nous avions demandé notre chemin on venait d’arrêter des militants syndicalistes : c’est l’un d’entre eux que nous avions aperçu, entre deux gendarmes ; et la foule rassemblée sur la chaussée délibérait pour savoir si oui ou non elle allait se battre pour l’arracher à la police. Le journal concluait vertueusement que l’ordre était rétabli. Nous nous sentîmes très mortifiés : nous étions présents, et nous n’avions rien vu. »
(*) Simone de Beauvoir, La force de l’âge. Paris, Gallimard, 1960. Cité dans Le français du tourisme, 1993. p.64-66.