En préparant un billet sur une Visite au présent à Rungis j’avais découvert l’existence des Cafés Géos(*) mais je n’avais pas eu encore le privilège d’être admis dans leur cénacle. Pourtant il suffit de se rendre à un de leur débat pour prendre part à ce salon géographique qui réunit à l’origine selon leurs termes « une poignée d’étudiants, anciens khâgneux à la Sorbonne qui, avec leur ancien professeur, veulent poursuivre les discussions de la prépa et refaire le monde ».
Café de Flore, 20h. Je contourne la caisse à l’ancienne de la vénérable institution du Quartier Latin direction le premier étage. Ouups, complet ! Une cinquantaine de participants sont déjà massés autour des tables entre lesquelles les serveurs slaloment… C’est debout que j’assiste à la présentation de Vies citadines(**). Un ouvrage collectif composé à trente mains, par des universitaires qui évitent de jargonner, s’obstinent à croiser les disciplines (géographie, sociologie, anthropologie, linguistique), font voeux d’introduire une approche sensible, de l’empirisme et une posture dans leur démarche. Voilà qui n’est pas si commun finalement et mérite en soi de retenir l’attention. Quatre années de travail ponctuées de séances de terrain (Afrique du Sud, Istanbul,…), de rencontres, d’échanges, une véritable œuvre collective, pleine de vie dont sont venus témoigner avec passion les auteurs. « Les textes constituant cet ouvrage proposent une analyse des interactions entre recompositions spatiales et sociales, à travers l’observation des vies citadines et fournissent des éléments de réponse aux débats actuels relatif à la dissolution de la ville dans l’urbain, à la déconnexion entre citadinité et urbanité, ainsi qu’à la notion de fragmentation urbaine. Cette analyse des villes confronte le matériel empirique à des grilles conceptuelles et montre que, malgré les crises et les délitements, et contrairement au discours courant sur l’évolution univoque des zones urbaines dans le contexte de la mondialisation, les espaces urbains continuent ‘à faire ville' »(***). La question n’est pas traitée de manière régionale mais transversale autour de thèmes : voisiner, villes en fêtes, bouger, s’ancrer…Les concepts sont illustrés de près de 80 encadrés très vivants. Des Gates Community de Jo’burg aux prétendues sociabilités des quartiers pauvres, du portrait d’un migrant s’appropriant la ville aux contacts de libertaires d’un squat marseillais, de l’amnésie de la Piscine de Roubaix… Vies citadines livre une matière généreuse pour qui ne veut pas voyager idiot. En feuilletant l’ouvrage on s’interroge avec les Cafés Géos : « Pourquoi [, de la géographie, il] n’en reste que dans de belles revues de papier glacé où elle se confond avec l’aventure, la vie des animaux ou des peuples oubliés ?«
Allégorie, d’une mondialisation où les codes sont sans cesse réinventés, sur le Boulevard Saint-Germain une jeunesse plutôt huppée et polyglotte, loup sur le visage, réinvente le bal masqué dans un mouvement qui rappelle le destin mondialisé du bal musette et du tango que nous décrivait quelques minutes auparavant Elisabeth Dorier-Apprill.
(*) Les Cafés Géographiques, « Géographie en débat, géographie du débat. Fidèles à leur vocation d’origine, les Cafés géographiques, huit ans après leur création au Festival International de Géographie de Saint-Dié, continuent de promouvoir de manière originale la géographie, de diffuser la parole de ceux qui font la géographie. Pour « faire de la géographie autrement ».«
Entrée libre aux Cafés, programme sur le site de l’association des Cafés Géographiques. Cotisation modeste vivement recommandée à l’association.
(**) Vies citadines. Ouvrage coordonné par deux africanistes : Elisabeth Dorier – Appril et Philippe Gervais – Lambony. Belin, Collection Mappemonde, 268p. 2007.
(***) Extrait de la fiche d’Urbamet