Comment l’Église (catholique romaine) perçoit-elle le tourisme aujourd’hui ?
Les mobilités, une préoccupation ancienne
Il existe au sein de l’Église un service, la Pastorale du Tourisme(*), porté par le Vatican et présent dans les diocèses qui guide la réflexion et l’action des Catholiques. Ce service n’est pas nouveau. L’idée d’une commission pontificale, sur ce qu’on appellerait aujourd’hui les mobilités, remonte au XIXe s. On la doit à l’évêque Jean-Baptiste Scalabrini, surnommé le Père des migrants, qui avait souhaité la création d’une telle commission en…1904 pour s’occuper des millions d’Italiens menacés d’exploitation et de déculturation en franchissant l’Atlantique. Il fallut un siècle pour que cette idée prenne corps au moment où le développement du tourisme de masse posait des questions nouvelles(**).
En 1969, la Congrégation pour le Clergé publie le Directoire Général de la Pastorale du tourisme, «Peregrinans in terra». L’année suivante Paul VI institue la Commission Pontificale pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, rebaptisée Conseil Pontifical en 1988, tout en gardant son intitulé très large originel. A ce jour, le texte de référence de l’Eglise sur le tourisme est la mouture 2001 de « Peregrinans in terra » connue sous le nom d’«Orientations pour la pastorale du tourisme»(***). Ce document comprend 36 articles articulés en trois parties :
- réalité du tourisme aujourd’hui,
- objectifs pastoraux,
- structures pastorales.
Pour en saisir l’esprit, il faut se reporter à son commentaire formulé en 2002 lors de la XVe réunion plénière du Conseil Pontifical « Le Tourisme dans la mission de l’Église »(****).
Quelques grandes lignes de ces textes fondateurs
- Patrimoine
L’Église détient un vaste patrimoine touristique religieux (lieux de culte, peintures…). Elle inscrit le respect de ces œuvres d’art comme des témoignages de sa vie et de son histoire. En tant que beauté terrestre symbole des réalités célestes et au même titre que la nature est un don de la Création elle convient de l’importance de préserver le patrimoine tant religieux que naturel. Elle privilégie néanmoins le respect du cultuel sur le culturel.
- Ethique
Le temps du tourisme n’est pas celui d’une parenthèse hors de la foi. L’Église porte une attention soutenue aux questions morales liées au tourisme qui rejoint et donne sens aux formes alternatives de type tourisme responsable, solidaire, éco-tourisme. Elle lutte contre la menace d’un tourisme mondial qui gommerait les différences culturelles.
- Mission évangélisatrice
« Le tourisme peut devenir un instrument utile pour la diffusion des valeurs évangéliques. Une visite touristique bien guidée des œuvres d’art et des lieux historiques de la mémoire peut en effet être une catéchèse naturelle« . Le tourisme est une occasion d’évangélisation et de communion. En particulier lors de la visite des sites religieux de sa paroisse, le chrétien doit oser aborder la foi avec ses visiteurs. Il est de son devoir d’être à l’écoute de la quête de sens du touriste et d’accueillir avec hospitalité les fidèles de passage de toute confession dans un esprit œcuménique.(****)
- Acteurs du tourisme
L’Église porte une attention particulière aux personnels du tourisme souvent saisonniers, déracinés voire exploités dans les régions hôtes ainsi qu’à la qualité de la formation des guides du patrimoine religieux.
- Vivre sa foi en voyage
Le loisir est un temps de construction harmonieuse de la personne et celui des retrouvailles familiales. Etre chrétien en voyage c’est aussi pratiquer, exiger ce temps de la prière des opérateurs touristiques et avoir un comportement de croyant exemplaire. C’est aussi contribuer à l’accès au tourisme pour les exclus. Il est intéressant de noter que les textes précités n’évoquent jamais le pèlerinage comme forme de tourisme contrairement à l’usage établi en sciences sociales où le pèlerinage est partie du « tourisme religieux ».
Illustration, les messages des Journées Mondiales du Tourisme
On peut appréhender plus concrètement les positions de l’Église en lisant les messages pontificaux délivrés à l’occasion des Journées mondiales du Tourisme de l’OMT (sources : Vatican).
2004 : Le tourisme contribue « à faire grandir les rapports entre les personnes et les peuples et, lorsqu’il est cordial, respectueux et solidaire, il représente une porte ouverte sur la paix et sur la coexistence harmonieuse.«
2005 : « Il faut toutefois toujours tenir compte des exigences éthiques liées au tourisme. «
« Celui qui voyage en touriste doit être animé par le désir de rencontrer les autres, les respectant dans leur diversité personnelle, culturelle et religieuse ; il doit être prêt à s’ouvrir au dialogue et à la compréhension et, à travers son comportement, à véhiculer des sentiments de respect, de solidarité et de paix. Le rôle des communautés chrétiennes est également d’une grande importance: en accueillant les touristes, elles doivent se sentir engagés à leur offrir la possibilité de découvrir la richesse du Christ incarnée non seulement dans les monuments et les œuvres d’art religieux, mais également dans la vie quotidienne d’une Eglise vivante. Du reste, depuis le début du christianisme, les voyages ont permis et facilité la diffusion de la Bonne Nouvelle à chaque extrémité de la terre. »
2006 : « Dans l’accueil réciproque entre le visiteur et la communauté d’accueil, peut se réaliser l’échange de biens de la terre et de la culture qui rend la coexistence humaine plus fraternelle et solidaire. » […] « Le tourisme peut exprimer, en particulier à notre époque, l’exigence fondamentale de la personne humaine qui est celle de cr
oitre dans la connaissance et de faire l’expérience que l’homme est porteur à la fois de civilisation et de bien. Pour que cela soit possible, il faut toutefois une préparation sérieuse, qui évite l’improvisation et la superficialité. «
2007 : le tourisme peut devenir « une expérience et une pratique d’une hospitalité capable de créer une culture de l’accueil, une recherche de la beauté et de la sagesse dont la tradition biblique et chrétienne est riche. »
Superficialité vs Authenticité
Sur le thème de connaissance des sociétés qui m’anime, les Orientations pour la pastorale du tourisme insistent sur la préparation pour éviter la superficialité.
« L’intérêt pour la culture d’autres peuples détermine aussi, souvent le choix du voyage. Le tourisme offre la possibilité d’une connaissance directe, d’un dialogue sans intermédiaires qui permet aux visiteurs et aux visités de découvrir la richesse de leur patrimoine respectif. Ce dialogue culturel, qui favorise la paix et la solidarité, constitue un des biens les plus précieux dérivant du tourisme. En préparant son voyage, le touriste se disposera à cette rencontre, cherchant une documentation adéquate pour l’aider à comprendre et à apprécier le pays qu’il s’apprête à visiter. Il s’informera du patrimoine artistique, de l’histoire, des coutumes, de la religion et de la situation sociale du peuple qu’il rencontrera. Ainsi, le dialogue qui s’instaurera sera fondé sur le respect des personnes, il constituera un lieu vivant de rencontre et évitera le danger de réduire la culture en objet de simple curiosité. «
Ce combat contre la superficialité me parait bien plus riche que la quête d’authenticité martelée par les agences et les guides de voyage parce qu’elle retourne la responsabilité. Ce n’est pas l’autre qui est in-authentique mais l’approche du voyageur qui est superficielle.
Les pastorales
Directement inspirées des Orientations il existe des pastorales du tourisme jusqu’au niveau des paroisses. 2007 voit la parution du Premier bulletin de liaison hexagonal de ces structures qui définissent des actions concrètes (accueil, visites, aide aux saisonniers…) dont Jacques Turck définit ainsi la mission de ses membres “Nous ne sommes ni des organisateurs de temps libre, ni des guides de musées. Nous sommes des témoins qui s’exposent.”
Ce sont bien des témoins exposés des pays, animés par la rencontre, qu’on aimerait rencontrer plus souvent en voyage quelque soit leur confession. Personne à ma connaissance ne s’est vraiment intéressé à ce que pensent les principales religions du tourisme. Ce phénomène social totalement absent à leur avènement est ignoré des textes fondateurs. Il y a là peut-être un nouveau terrain pour l’œcuménisme ?
(*) La pastorale du tourisme, Eglise catholique en France, Conférence des évêques de France.
(**) Hagiographie de Mgr Scalabrini, Abbaye de Saint Benoit, Suisse.
(***) Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement,
Orientations pour la Pastorale du Tourisme, Cité du Vatican, 29 juin 2001.
(****) Catholique.org, Une bonne visite guidée peut être une catéchèse, document final d’un congrès au Vatican, décembre 2006.
Le Tourisme dans la mission de l’Église , Cité du Vatican, 2002.
Divers documents et notes d’intérêt
– En théologie la pastorale n’a rien de l’acception d’harmonie originelle des Anciens. C’est la branche pratique de la théologie, qui vise les relations entre les ministres du culte et les fidèles.
– Catéchèse : instruction religieuse
– Orientations 2003/2007 de la Pastorale des Réalités du Tourisme et des Loisirs dans les diocèses de France
– Lettre émanant de la Sacrée Congrégation pour le clergé sur la protection du patrimoine historique et artistique de l’Église (11 avril 1971), document post conciliaire (Vatican II)
– Référence biblique : « On a beaucoup appris quand on a beaucoup voyagé et un homme d’expérience parle avec intelligence. Celui qui n’a pas été à l’épreuve connaît peu de choses, mais celui qui a voyagé déborde de savoir-faire. J’ai beaucoup vu au cours de mes voyages et j’en ai compris plus que je ne saurais dire. Bien des fois j’ai été en danger de mort et j’ai été sauvé [par mon expérience] » (Siracide 34, 9-12).