Il a beau s’élancer de la belle gare ottomane de Sirkeci, rouler sous les fenêtres de Topkapi, emprunter les voies qui s’étirent depuis plus de cent ans jusqu’à Paris le train qui me conduit à Edirne n’a rien de l’Orient Express. C’est juste un train couchette de chez nous qui fleure bon la chaleur des vieux wagons, celle que l’on reconnait instantanément à cette odeur grasse, métallique, qui tient du roulement à bille et des bougies de garagistes. Une effluence du plancher, brulante et sèche, qui vous ceint le front après une heure de route et vous obsède bien après le voyage.
Le parcours est lent, à peine sinueux, escarpé parfois, entre mer immobile, labours d’automne et broussailles décharnées. Des bergers groggy attendent l’hiver, dans une brume blanche d’humus et d’embruns mêlés, ni douce, ni froide, trop humide sans doute.
Dans cette lumière indécise sous des rayons de soleil trop ras, se confondent Orient et Occident. Allez comprendre quelque chose ! A l’Occident de la Turquie je parcours une Thrace fièrement orientale pour se distinguer ainsi de sa sœur occidentale et grecque. Vanité des appellations. Où sont les Thraces qui peuplaient la région depuis que Rome s’en est emparée ? Et où sont les Francs de France… et les Macédoniens qui sont prêts encore à en découdre pour le titre ?
Un long voyage en train c’est le temps d’un roman ou d’un bilan. Les réalités m’obsèdent trop pour goûter aux fictions. Va pour une seconde analyse du circuit Marmara.
Je me risque à quelques autres catégories
Le groupe
C’est un peu France miniature. Des Français de tous horizons réunis par le hasard du voyage vont constituer une micro-société pendant 12 jours. Une violente intimité durant deux semaines d’êtres que seul lient la langue et l’appartenance à un pays de résidence et un milieu environnant hostile. Expérience sociale rare, la découverte des membres du groupe est un plaisir à part entière du voyage. C’est une évidence, dans cette durée les échanges entre Français sont beaucoup plus importants qu’entre Français et Turcs. Les seuls contacts avec des Turcs passent soit par le guide, soit par des commerçants. La barrière de la langue est pour tous insurmontable.
Le bus
C’est la maison du groupe. Chacun y a ses habitudes, sa place réservée.
La religion
Question frontale, abordée dès le début du voyage. Le guide donne une image libérale de la Turquie où l’on peut boire et prier, où s’expriment toutes le tendances. Mais le discours est « parasité » par la présence de touristes musulmans au sein du groupe ! Le « chez vous, les Chrétiens » du guide, ne fonctionne plus vraiment. L’Islam turc se trouve confronté avec celui maghrébin provoquant d’étranges zones grises, non verbalisées, entre un guide turc laïc, et des touristes portant foulard et priant aux arrêts quand cela est possible.
L’intérêt pour le pays
Le groupe a signé pour un circuit culturel comprenant en majorité la visite de sites historiques si l’on s’en réfère à la brochure. Paradoxalement aucune question ne sera posée sur ce qui constitue l’objet du voyage. Par contre le guide est interpelé sans cesse sur ce que le touriste aperçoit de la Turquie contemporaine. L’éducation, les femmes, le travail, l’islam, les retraites, le logement, la pollution… autant de thèmes qui sont totalement absents de la brochure et pour lesquelles il n’est exigé aucune compétence au guide. Il y a là matière à interroger. Ce contenu non spécifié est-il implicite ?
Culture du commerce oblige, les Maghrébins sont unanimement déçus du manque de temps libre pour faire des courses.
Signes et sens
Le voyageur est sans cesse en aller-retour entre le signe (ce qu’il voit) et ce qu’il en déduit. Avec des raccourcis qui agacent le guide.
Le guide
Se veut clairement défenseur de l’image de la Turquie. Il a un atout considérable car il a voyagé en France. Il peut établir des parallèles pertinents. Mais il n’a pas réponse à tout, surtout sur des sujets qui méritent recul et il le dit.
Il exprime volontiers sont point de vue, laissant peu lisible, exemple parmi d’autres, la compréhension de l’accession au pouvoir de l’AKP (parti religieux et conservateur).
Les rites
Comme pour n’importe quel groupe des habitudes se mettent très vite en place. Les pauses pipi, la place dans le car, les commentaires du matin (« Guneydin mesdames et messieurs… »)
Des tribus se forment : si l’origine régionale ne fait pas recette (les Maghrébins pas plus que les Bretons ne feront corps), l’âge reste le discriminant le plus fort. Des plus âgés aux plus jeunes la disposition dans le car donnait directement les âges.
Apport du voyage
Je ne suis pas sûr que le voyage ait permis à chacun de mûrir des questions telles que la place de la Turquie dans l’Europe. Ni même de s’ouvrir à de nouvelles thématiques (ex. non abords : l’économie, la politique, la diplomatie…) Chacun recherche plutôt confirmation de son point de vue. Exemple très représentatif : à Avanos un hôtel en construction est immédiatement pris pour une madrasa.
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PROGRAMME
Istanbul (Sirkeci)-Edirne (nouvelle gare)
Edirne. Hôtel Açikgöz, ch. simple 40 YTL (24€) douche wc. Ch. 201 très bruyante moteur à 4h du mat’. A fuir !