Quand le miroir s’est brisé on s’aperçut
que la vérité était en chacun et en Dieu. « (*)
Il y a des week-ends où on aimerait posséder le don d’ubiquité. Mais mortel humain on est contraint à courir d’un lieu à l’autre, à jongler avec les programmes d’évènements passionnants mais éphémères. Ces prochains jours dans mon quartier se tiennent : le carnaval de Paris (festif), l’exposition Migrances Africaines (interactif), la 5ème édition de Bobines sociales (militant) et les Escales de la mémoire (mémoriel) et j’en oublie sans doute bien d’autres(**). S’il est difficile de résumer un tel bouillonnement il s’en dégage une forte cohérence dans la finalité : interrogation du passé proche au plus près de ses acteurs pour mieux affronter un présent qui présente des symptômes inquiétants.
Le film mexicain, peuplé de quatre Super Amigos en tenue de Superman, chacun dédié à une grande cause ouvrait le week-end de Bobines Sociales. A Super Barrio, les exclus du logement, à Super Ecologista, la défense de l’environnement, à Super Gay, les droits des homosexuels, tandis que Super Animal se battait pour faire interdire la tauromachie. Humour et dérision en renfort d’un activisme à la mode Mexico-Gotham City.
De retour à Paris, le documentaire Hôtel de Bourgogne qui suivait épinglait les aberrations d’un système de protection des exclus du logement. Des chambres d’hôtel de 9m² à 1400€/mois sont prescrites, et financées en partie, par des services d’urgence sociale, à des familles sans abris, femmes immigrées avec enfants. Ces solutions se révèlent de véritables pièges pour ces familles, qui même si elles disposent d’un emploi, n’arrivent pas à sortir de ce système qui engraisse des marchands de sommeil véreux peu regardant sur la salubrité et la sécurité de leurs clients. Une fois un arrêté de fermeture prononcé sur ces hôtels, les services de police, la mairie, les organismes sociaux, les associations de défense et les résidents se débattent dans un système où le droit est tout sauf clair. Le débat animé par le DAL en présence du réalisateur fut étrangement troublé par une harpie qui n’a pas supporté qu’un témoin-acteur, une algérienne courageuse et combattive, ose dire au détour d’une phrase « nous les femmes nous aimons avoir des enfants ! » Réplique cinglante aussi violente que totalement déplacée de l’harpie « Non madame, je ne peux pas vous laisser dire que toutes les femmes veulent des enfants ! » L’incident à peine oublié fut relancé 5 mn plus tard par un homme cette fois « on n’est pas obligé d’avoir 3 ou 12 enfants pour être une femme ! » Une telle incapacité à l’altérité, un tel enfermement dans ses convictions, font trembler et illustrent parfaitement la description de Régis Debray de ce « Juste peu judicieux, qui préfère […] l’image de soi à la réalité des autres.«
Avec Silence dans la vallée un documentaire extrêmement abouti, Marcel Trillat, partant du terrain aborde la question de la mondialisation dans ses aspects les plus noirs. En suivant pas à pas la liquidation d’une grand forge d’estampage des Ardennes, son enquête remonte aux causes du désastre en évitant les simplifications. Les rapports entre ouvriers et patronat familial (qui a ici un visage et une voix) sont rendus dans leur complexité, le pillage par les ouvriers de leur outil de travail fait contrechamp à l’amour d’un métier pourtant extrêmement pénible…
Le plus terrifiant vient peut-être de ce président départemental du MEDEF qui vacille face à la caméra, et finit par dénoncer tout de go la spéculation sur les matières premières et la pression de la finance sur les profits qui conduisent les donneurs d’ordre à étouffer leurs sous-traitants en les forçant à délocaliser leur production(***). Le plus contradictoire, c’est que cette petite industrie doit une partie de sa fortune pour avoir inondé le marché mondial de ses alternateurs. Le mondialisateur mondialisé en quelques sorte.
Pour finir, parce que les harpies de gauche n’ont pas l’apanage de la connerie, nous avons pu visionner l’hilarant court métrage Manif’ de droite aux slogans délirants préparés par des intermittents en colère : « Monsieur Bush priez pour nous« , « TF1 sur toutes les chaînes« , « Intermittents retourne dans ton pays« , « Mac’Donals dans nos cantines« , « Afrique paye ta dette aux pays occidentaux« … L’intégrale ci-dessous.
(*) Parole d’une migrante dans « Pour vivre j’ai laissé », 2004, PAC/GSARA.
(**) Repères :
- Carnaval de Paris.
- Migrances Africaines, Galerie IMMIX, Espace Jemmapes, 116 quai de Jemmapes, 10ème. Par la mise en scène d’une dizaine de récits audiovisuels de personnes arrivées en France depuis les années ’60 jusqu’à nos jours, ou nées en France de parents africains, le public est invité à une re-lecture (regard, analyse) de l’histoire de la France contemporaine, intégrant l’apport essentiel de ces populations à la vie culturelle, politique et économique du pays. Une exposition audiovisuelle retraçant des migrations d’hommes et de femmes d’Afrique sub-saharienne, qui habitent aujourd’hui les quartiers du nord-est parisien.
- Bobines sociales, le festival du cinéma social à Paris présenté par Pavé et Manivelle.
- Escales de la mémoire, proposent une programmation itinérante sur trois week-ends pour faire connaître au public des projets trop souvent limités à des audiences locales. Sur ce thème commun de la mémoire, Belleville rassemble des initiatives de ce quartier populaire et accueille celles nées de l’autre côté du périph’, de ces banlieues qui ont vu s’installer sur leur territoire les populations chassées du centre parisien au fur et à mesure des opérations de rénovation urbaine.
(***) Lire à ce propos : Quand le Medef s’interroge sur les dérives de la mondialisation et du capitalisme financier, Le Monde, 15 janvier 2008.