Il est loin le monopole des Mahuzier ! On peut voir de plus en plus de documentaires produits pas les habitants des territoires concernés à l’étranger comme en France(*). Et ça fait une sacrée différence. J’ai visionné ces deux jours quatre de ces films du réel, à mi-chemin entre reportage et fiction, sur et par des Asiatiques. Le regard change, approche les détails, touche la sincérité sans rien masquer de la toile de fond en s’affranchissant des carcans idéologiques et formels des productions nationales.
Les ateliers du Varan (**) ont soutenu la production de plusieurs documents au Vietnam. Cheveux verts(***), de la jeune réalisatrice Thu Nguyen Viêt Anh, raconte, sans cet écran de misérabilisme et de formules toutes faites propres aux réalisateurs (et aux voyageurs) occidentaux, la vie de deux jeunes coiffeurs, première génération de l’exode rural, partagés entre goût de la réussite, famille et mariage. Rêves d’ouvrières(****) illustre mieux qu’un long discours les impacts sociaux de la mondialisation dans un pays en plein boom économique. Dans le quartier de Thanh Cong…(*****) l’installation de deux haut-parleurs à Hanoi destinés à diffuser les consignes du parti revèle avec beaucoup d’humour les contradictions idéologiques du pays. Même focus sur les contradictions dans le film Le dernier voyage du juge Feng(******). On entre là dans une Chine totalement méconnue où s’affronte deux sociétés, l’une traditionnelle l’autre post-communiste. Une fable contemporaine très pertinente dans laquelle pourraient se reconnaitre bien des pays en développement.
Tout cela semble annoncer le 30e festival Cinéma du Réel qui se tiendra à Beaubourg du 7 au 18 mars. Une vaste programmation de documentaires couvrant les cinq continents avec un zoom fort à propos pour moi sur l’Asie du Sud-Est et… le tourisme. Vision historique et critique du voyage avec des films rares mais aussi cultes (Playtime de Jacques Tati !). Le programme est déjà en ligne(*******).
(*) cf. Les escales de la Mémoire.
(**) Les ateliers Varan. « A Varan, on apprend à montrer les réalités quotidiennes, et à exprimer à travers des images et des sons ce qu’est une identité culturelle. En 1978, à l’indépendance du Mozambique, le gouvernement demande à l’Ambassade de France de réaliser des films sur les transformations du pays. Au lieu d’envoyer des cinéastes, Jean Rouch propose que les Mozambicains filment eux-mêmes les évènements afin de témoigner de leur propre réalité. La vocation de Varan était donc à l’origine, d’aménager, pour de jeunes cinéastes des pays en voie de développement, la possibilité d’apprendre à lire et à écrire en images et en sons, leur donnant ainsi l’opportunité de réaliser, avec des moyens peu onéreux, des films qui échappent à l’envahissement des modèles culturels standards et de constituer des archives de mémoire populaire ou ethnique. » Régulièrement au musée du quai Branly.
(***) Cheveux verts, de Thu Nguyen Viêt Anh (Atelier Hanoï 2004 – 41 mn). Bau et Khanh se sont associés pour ouvrir un petit salon de coiffure dans la rue Doi Cam à Hanoï. Originaire du même village, dans le Nord, ils ont d’abord tenté leurs chances à Hö Chi Minh Ville avant de revenir à Hanoï.
(****) Rêves d’ouvrières, de Thao Tran Phuong (Atelier Hanoï 2006 – 52 mn). Hanoï, la zone industrielle japonaise : les jeunes femmes qui ont quitté leur village luttent pour échapper à l’intérim et aux contrats précaires de «leur» mondialisation. Le film a obtenu la Bourse Pierre et Yolande Perrault au festival Cinéma du Réel, en mars 2007.
(*****) Dans le quartier de Thanh Cong il y a le village de Thanh Công, de Phan Thi Vàng Anh (Atelier Hanoï 2004 – 33 mn). Dans un vieux quartier de Hanoï, de nouveaux hauts- parleurs doivent être réparés et installés. Vang Anh filme avec humour l’animation suscitée par cet événement et nous plonge au cœur des contradictions vietnamiennes.
(******) Le dernier voyage du juge Feng, Liu Jie, 1h41min, 2006.
(*******) Festival Cinéma du Réel