Samedi chargé. Début 11h45, salle 2. Fin 22h30, Petite salle. Pas moins de 10h de projection sans quitter le sous-sol de Beaubourg(*). D’où l’importance en rentrant de coucher quelques notes par écrit avant que les histoires gagnent pêle-mêle rêves et cauchemars. Je réalise l’ampleur de la tâche des sélectionneurs censés chaque année faire leur choix parmi plus de 2000 films.
Comme si ça ne suffisait pas, entre deux séances, je stationne au foyer pour visionner plusieurs court-métrages sur le tourisme(**). No Comment de Vincent Leduc est une très bonne illustration du mal dont j’essaie de guérir. L’écœurement, la nausée devant les formes de tourisme massif, contemplation sans fond d’un monde vidé de sens. L’acte individuel vaguement ‘sympa’ répété à l’envi devient monstruosité. Le réalisateur accumule en 10 mn des images aux apparences anodines, mais qui mises bout à bout et par effet du nombre se révèlent d’une vulgarité et d’une violence terrible. Quelques saynètes :
- La confusion des genres : l’apéro de bienvenue à l’hôtel club suivi de l’énumération de ce qui fait partie du « forfait » et des restos : le mexicain, le brésilien, l’espagnol, l’italien… mais où sommes-nous au fait ?
- L’exhibition animale : LA photo avec le perroquet perché sur la tête ou assis près du lion thaï… bientôt exhibée avec celles des autres membres du groupe,
- L’Orient de pacotille : « le monde magique de l’Orient où se confond le rêve et la réalité » susurre une voix enregistrée au musée de Tozeur,
- Le zoo humain : les femmes girafes birmanes exposées, dévisagées, commentées de manière insoutenable,
- La bonne action : la remise solennelle de cahiers, de stylos et de quelques billets aux enfants d’une école par des touristes suffisants et repus de charité.
Ce malaise, quelque part c’est vous, c’est moi. Dans Somewhere de Cheng Xiaoxing je note cette recommandation du guide chinois à ses clients en partance :
- L’Egypte a beaucoup de problèmes. Il faut la voir comme une ancienne civilisation, voir uniquement sa partie ancienne. Ne regardez pas son présent. Concentrez-vous sur l’histoire millénaire. Le présent n’a pas d’intérêt. Entre nous je considère que c’est une nation en décadence. […] N’en attendez pas trop. Ne vous laissez pas trop impressionner par le présent du pays.
Voilà qui a au moins le mérite d’être franc ! Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse exprimer aussi clairement ce que je tente de démontrer en France par des évaluations statistiques sur les discours du voyage (cf. analyse de guide de voyages). Je note au passage l’universalité de cette règle du tourisme : du présent faisons table rase ! Cela confirme ce que j’avais découvert en Asie du Sud-Est. Les habitants des pays en plein développement adoptent jusqu’à la caricature nos modes de tourisme.
Et les inoffensifs parcs d’attraction interroge aussi le festival ? Dans O Dreamland, oeuvre pionnière du Free Cinema britannique des années 50, l’absence de commentaire, la bande son ‘décalée’, les images et les plans choisis, transforment le joyeux Margate Funfair Dreamland en enfer : les visiteurs donnent le tournis, les enfants ont les yeux hagards, des rires sardoniques accompagnent les simulacres de chaise électrique, de torture et de pendaison sans fin… Autre temps, autre parc. Arnaud Despalières avec Dysneyland pays de mon enfance nous invite à une sorte de psychanalyse du parc d’attraction. Une œuvre au texte dense, extrêmement personnelle qu’on a envie de déguster chez soi pour apprécier toute la portée des métaphores. Ce même Eurodysney est le terrain d’étude de Marc Augé, anthropologue du quotidien. Ce court métrage fait partie de la série des 4 Clichés présentés au festival qui de Châteaux en Bavière à Waterloo s’achève au sommet du Mont Saint-Michel. Lecture féconde de Haut-lieux sans être pour autant toujours lumineuse. Mais ne demandons pas à l’anthropologie d’être une science exacte, alors qu’on cherche encore l’expression de la rationalité chez l’homme.
Je m’autorise aujourd’hui deux films de la compétition internationale. L’émigration traverse encore l’édition 2008 du festival. Sans doute parce que – comme son flux en ‘négatif’ qu’est le tourisme – elle est la charnière du monde. Dans ce registre, l’impossible attractivité de la terre natale est rendue par l’efficace Barcelone ou la mort d’Idrissa Guiro. Sans grand rapport le film suivant valait surtout pour son personnage. Entre nuit de la pleine lune à Gao et son bordel de Hambourg Wolli revendique une vie anticonformiste et libérée totalement politiquement incorrecte.
Pour finir la soirée, retour en Malaisie pour découvrir une autre page de son histoire : la chasse aux communistes malaisiens. Amir Muhammad au style toujours déconcertant traite de sujets graves en mêlant quotidien, chanson, digressions… et n’a pas peur de montrer l’inconséquence de ses censeurs. Et de m’interroger. Où se situe pour un militant la ligne blanche à ne pas dépasser dans ce pays ?
(*) Programme perso J2
T17 Parcs d’attractions et réserves 1 : le monde-spectacle
O Dreamland Anderson, Lindsay : visionnable sur le site de Fourdocs .Le film If de ce même réalisateur obtiendra la palme d’Or à Cannes en 1969.
Somewhere 5-6 Cheng, Xiaoxing
Disneyland, mon vieux pays natal Des Pallières, Arnaud
T9 L’ethnologue et les touristes 3
Série « Clichés » Clippel, Catherine de ; Augé, Marc
The Moon, the Sea, the Mood Mayrhofer, Philipp ; Kobald, Christian
Compétition Internationale
Barcelone ou la mort Guiro, Idrissa
Wollis Paradies (Wolli in Paradise) Kroske, Gerd
Asie du Sud-Est
18 MP Muhammad, Amir
Lelaki Komunis Terakhir (The Last Communist) Muhammad, Amir
(**) Programme du foyer
Bonjour chez vous, Marie Voignier
En Allemagne, le monde tropical, idéal des vacanciers, dans une bulle géante.
Somewhere 1-6, Cheng Xiaoxing, 30’, 2008
No Comment, Vincent Leduc, 10’, 2004-2008
Under Construction, Liu Zhenchen, 10’, 2007
Die Nacht / La Nuit une sélection de courts métrages proposés par Paul Ouazan, producteur de l’Atelier de recherche d’ARTE France.