L’envers du décor. Venons-y. Un coup d’oeil depuis le hublot hier valait, mieux qu’un long discours. Hurghada s’étire sur 20 km comme une opération immobilière gigantesque. Une succession de resorts uniformes, monotones, stéréotypés. Immeubles à balcons, chambres à la semaine en formule club, piscine et transat, palmiers et assurance soleil compris, bar et restaurant à tout heure, dans un décor de marina vaguement orientalisante qui rappelle Djerba, Agadir ou Antalya. Ce qui distingue cette dysneylandisation classique c’est l’absence d’histoire du lieu et d’arrière pays. Mais ne stigmatisons pas l’Egypte. L’Europe ne s’est guère préoccupée de son littoral qu’après l’avoir défiguré. Peut-on en vouloir à un pays, pauvre de surcroît, de vendre ses charmes ? Au premier abord ça semble même moins grave qu’il n’y parait. Sacrifier 20 km sur les 800 km de côtes de toute façon désertiques est-ce si grave après tout si ça améliore sensiblement le sort des Egyptiens ? Pourtant il y a de quoi être préoccupé pour l’avenir.
– Le bétonnage s’étend. De nouvelles stations se sont créées au sud de Hurghada en direction de la frontière soudanaise (Safaga, al-Quseir, Marsa Alam), mais aussi sur la côte méditerranéenne entre Marsa Matruh et Alexandrie,
– L’expérience des méfaits du tourisme vécus et largement décrits par d’autres pays (dégâts sur la faune marine, les sociétés locales…) ne sont d’aucune utilité, on attend toujours le désastre pour réagir, l’ONG de préservation de la mer Rouge (*) parviendra-t-elle à se faire entendre ?
– la ségrégation des populations est manifeste : en short et bermuda les touristes, en pantalon, gallabieh et voiles les Egyptiens, vivant chacun dans des univers étanches qui ne peuvent que nourrir les préjugés,
– l’écart de moyens entre hôtes et touristes. Simple exemple : un thé dans la plus modeste gargote à touriste coûte 10 fois plus cher que dans un café arabe,
– l’absence du moindre fondement à tout séjour que l’hédonisme le plus primaire (sea, sex and sun),
– le désintérêt des touristes pour tout ce qui touche au quotidien des populations,
– le transfert de propriété à l’étranger, facteur d’inflation locale. A l’arrivée hier les touristes se voyaient remettre la brochure « your dream home in the sun » proposant de devenir propriétaire d’appartements en construction à partir de 25 000 € le studio,
– le creusement des inégalités entre la caste d’investisseurs et l’Egyptien de la rue,
– le déplacement massif de populations originaires de Haute-Egypte que le projet a necessité,
– l’entière dépendance de toute une région et de sa population au tourisme.
Il serait erroné de lier le développement du fondamentalisme religieux au tourisme de masse. Il se nourrit de bien d’autres ingrédients. Mais il est clair qu’il représente un moyen de pression fort aux mains de tout groupe radical. Un attentat bien ciblé, comme il y en a eut plusieurs dans cette région prive ses habitants de revenus pendant plusieurs mois et – en les paupérisant – a toutes les chances de renforcer le clan fondamentaliste. L’idée que le pays est vendu à l’étranger, les différences sociales et culturelles ne peuvent également que nourrir le discours sur un Occident décadent et pervers – et leurs alliés égyptiens – qu’il faut bouter hors du pays.
(*) HEPCA : Hurghada Environmental Protection and Conservation Association