Dans Playtime de Tati, Orly est le symbole accompli de la modernité. Il arbore alors fièrement l’enseigne Aéroport de Paris qu’il a ravie au mythique Bourget. Mais aujourd’hui, rapporté à Roissy, il fait figure d’aérogare provincial surtout lorsqu’on le réveille à quatre heures du mat’. Escalators immobiles, halls éteints, comptoirs inanimés, ombres furtives d’employés et de voyageurs égarés à cette heure matinale lui donnent l’air d’un musée du design sixties avant la horde de visiteurs. Un musée ? C’est peut-être ce qu’il adviendra un jour d’Orly. N’est-ce pas ce que sont devenus son aîné du 93 et plusieurs gares du XIXe siècle lorsqu’ils ont perdu leur raison d’être économique ? (*) Dans ce mouvement mémoriel qui élève au rang de sacré tout ce qui a plus de 50 ans, Orly possède de bons atouts. Qu’y mettra-t-on en scène ? Les acteurs involontaires du succès orlysien ? Enfants et petits-enfants de provinciaux montés à la capitale, immigrés de l’autre rive de la Méditerranée, «vedettes» et autres VIP de la politique et du show-biz, cadres du capitalisme mondialisant, touristes de masse ; les technologies et les infrastructures qui, du Concorde au sac à dos en passant par le charter et autres club Med’ ont propulsé le tourisme au rang de première industrie mondiale ; les personnels et métiers associés ? Il y a là place pour un vrai musée international du tourisme, témoin de l’ère pré-TGV. Je ne crois pas qu’il en existe un du genre et la France, première destination mondiale du tourisme, devrait s’y pencher rapidement avant de perdre son rang. J’entends déjà la clique des historiens et sociologues du tourisme qui auront largement participé à la conception du musée et animeront débats et forum disserter d’une forme paroxystique du voyage : «le tourisme touristique» !On y présenterait les nouvelles tendances et les partenariats avec les voyagistes seraient juteux. Pour les produits dérivés on aurait l’embarras du choix pour ce salon du voyage permanent qui profiterait de la désaffection du web par un curieux retour à l’authentique (la bonne vieille agence de voyage, le ticket matérialisé…) Ce serait un juste tribut à l’ère des loisirs. Mais tout ça n’est pas pour demain. Les ventes via internet continuent de croître et le low-cost a relancé Orly. A ce propos, la compagnie Transavia qui me conduit à Hurghada ce matin évite toute référence à sa maison mère Air France. Pas question d’entretenir la confusion avec le prestigieux actionnaire. Question d’image. La différence n’est pas seulement sensible dans le décor où le turquoise-émeraude a remplacé le tricolore national. Sur Transavia.com – quel affreux nom ! – le personnel est limite désinvolte et les départs se font à l’aube. A bord ni presse, ni boisson et encore moins de repas même sur un moyen-courrier ; tout se paie. Si l’on ne veut pas être frappé d’excédent il faut respecter scrupuleusement le poids des bagages. C’est sans doute ce qui permet de proposer des vols vers l’ةgypte pour l’euro symbolique (**) ! Mais n’est pas Easyjet qui veut. Aux premières lueurs pascales l’argument économique n’a pas convaincu. 40 voyageurs sur 200 sièges. Taux de remplissage : 20 %. Ce réel gaspillage écologique conjugué à l’envolée du prix du brut ne milite pas vraiment pour un tourisme effréné. Mauvaise perspective pour Hurghada qui ne vit que du tourisme. Quel attrait pourtant. Rêvez un instant. Vous décollez sur une piste verglacée d’Orly à 6h du matin et, 4h30 plus tard, vous foulez un tarmac à 35° à 5mn d’eaux turquoises et tièdes où tout est conforme à un imaginaire du plaisir façonné par des années de publicités et de reportages. Clubs et piscines somptueux, palmiers et chameaux, équipements de plongée, autochtones aux petits soins voire plus même sans affinités. Tout conduit à l’irréelisation du séjour et du lieu. Comme pauvre antidote, je conseille de voler de jour, pour tracer par le hublot ce lien, sans solution de continuité, qui unit la terre et les hommes par-delà les kilomètres. Pour se convaincre que nous sommes encore sur terre, que ce «paradis» dont on va jouir est un fragile artifice, et que notre conscience et notre bon sens devraient s’y tenir éveiller tout autant que chez nous. A peine débarqué, tout à cette pensée je me retrouve à faire la queue pour le visa dans un hall bruyant avec près de cinq cents autres touristes, Russes pour la plupart, mais ils pourraient être tout aussi bien Allemands ou Français, «selon arrivage» comme on dit dans les restaurants qui méprisent le congélateur. Au reste, pour filer la métaphore, dommage pour Hurghada qu’il n’existe pas de touristes surgelés pour la morte saison ! A 45° l’été, la basse saison, ils seraient vite dégelés ! La suite est banale. Taxi, hôtel(***), un thé noir sirupeux dans un café populaire, une promenade sur la corniche. Avec mes rudiments d’arabe – qui reviennent instantanément – l’envers du paradis se révèle plus crûment encore. До свидания(****).
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(*) Gare d’Orsay à Paris et des Brotteaux à Lyon.
(**) Transavia.com. Paris-Hurghada (ou Louxor) à partir de 1€ le vol, plus sûrement 60 €. Hors taxes diverses (compter 75€ par trajet). Bagages : 5 kg à main, 20 kg accompagnés. Boeing 737-800, 200 places environ.
(***) Hôtel Snafer. Un peu bruyant sur la rue. Chambre simple et propre avec sdb et balcon. 7€. En face de l’hôpital public, près du front de mer.
(****) Au revoir en russe.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Orly en musée du tourisme ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/03/orly-en-musee-du-tourisme/>