Alexandrie, encore et toujours titrait Youssef Chahine. Alexandrie poursuivie par ses fantômes dont on fini par se demander s’ils ne sont pas surtout les nôtres plutôt que ceux des Egyptiens contemporains. Que peut bien inspirer un Durell, un Forster, un Cavafy, un immeuble néo-vénitien à un jeune Alexandrin d’aujourd’hui ? Une culture néo-coloniale éloignée de ses racines, un décor étrange n’inspirant de rêves d’Occident qu’à la nouvelle bourgeoisie qui tourne résolument le dos à Nasser.
Me voici pour deux semaines sur la Corniche à l’hôtel Crillon qui n’a rien du luxe du palace parisien homonyme(*). Il ne manque pas pour autant de ce charme désuet des années 30 que l’on vient justement chercher à Alexandrie. Ascenseur improbable à grilles et portes battantes en bois, balcon art nouveau, fenêtre à la française, peinture écaillée, boites aux lettres hors d’âge et d’usage, tapis usés et… vitrines d’ornithologue à la réception. Un musée de l’Alexandrie d’avant 52 lorsque la ville résonnait des accents libanais, maltais, français, anglais, grecs, italiens et même maghrébins que se côtoyaient musulmans, juifs et chrétiens de toutes confessions. De mon balcon la courbe de la Corniche suit celle des heures, du fort de Qaitbay jusqu’à la nouvelle bibliothèque, promenade bruyante mais toujours très prisée dès la tombée du soir.
Arrivé en fin de journée épuisé par la perspective de la centaine de kilomètres de littoral qui suent le béton. Comment un pays qui connaît une grave crise du logement, trouve-t-il les moyens de construire des villages de vacances habités deux mois par an par des Egyptiens moyens-supérieur ? Il y a là une question de redistribution de richesse patent.
Dans Al-Ahram, un chercheur spécialiste des Frères musulmans pose la question des choix économiques de la confrérie. Ils se sont toujours rangés du côté de l’économie de marché. Mais jusqu’où, alors que l’envolée du coût des matières premières fait grimper brutalement le coût de la galette de pain. Interventionnisme, dirigisme ? Quelle serait sa doctrine sociale et économique s’ils venaient au pouvoir ?(**)
(*) Hôtel Crillon, chambre 406. 9 € la simple avec petit-déjeuner.
(**) L’absence du social chez les Frères musulmans, Hossam Tammam, Al-Ahram, 23 au 29 avril 2008, Voir aussi le Dossier Frères musulmans du numéro 706, 19 au 25 mars 2008.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Alexandrie encore et toujours ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/04/alexandrie-encore-et-toujours/>