China blues(*), titre improbable d’un livre que renseigne mieux la mention « Voyage au pays de l’harmonie précaire » est une enquête réalisée par deux militants, plutôt ultra-gauches voire libertaires dans la Chine contemporaine. La Librairie de l’Atelier qui les réunissait ce soir permettait de poser un visage sur ces noms d’emprunts.
Extraits de l’invite qui fait un lien entre l’omniprésence de la « micro-question tibétaine » (selon le mot de l’éditeur**) et le peu d’intérêt accordé au reste de la question chinoise.
Depuis quelque temps le Tibet est l’arbre qui nous cache une forêt en feu. La situation au Tibet s’apparente certes à celle d’une colonie : exploitation des matières premières, déplacements de populations, effacement de la culture traditionnelle, peuplement chinois massif.
Mais cette situation ne peut être séparée de la nature oppressive du régime chinois et des objectifs qu’il poursuit. L’Occident s’est ému que les « droits de l’homme » soient bafoués au Tibet. Mais de quels droits et de quels hommes parlent-on ? Pendant qu’on parle de « droits de l’homme », les autres aspects de la question sociale passent à la trappe : les émeutes paysannes contre des expropriations de terres, la découverte d’un vaste réseau d’exploitation d’enfants esclaves dans la région de Liangshan, au Sichuan, les grèves et les révoltes récurrentes dans les bagnes industriels et les mines, les catastrophes à répétition qui s’abattent sur les couches les plus défavorisées de la population, l’étendue du système concentrationnaire.
China Blues, voyage au pays de l’harmonie précaire est un recueil de témoignages qui rappelle que la Chine d’aujourd’hui n’est pas un monde séparé, mais la caricature bureaucratique du modèle libéral présenté ici comme notre avenir indépassable. Composé d’une série d’entretiens sur le vif et de documents originaux traduits du chinois, le livre brosse un tableau saisissant du nouvel « atelier du monde » et montre le vrai visage de la « société harmonieuse » avec sa « croissance à deux chiffres » que nous vantent les dirigeants chinois. On y découvrira ainsi certains aspects peu connus du pays de la répression concentrationnaire, des ONG pseudo-écologistes et de la surexploitation généralisée qui accable les millions de paysans déracinés, travailleurs précaires des zones franches et autres victimes de la pollution durable. La Chine pose la question sociale à l’échelle de l’humanité entière.
Un livre qui, volontairement, ne trace pas vraiment de raisons d’espérer mais qui a le mérite de donner de l’envergure au débat.
(*) Hsi Hsuan-wou & Charles Reeve, China Blues (Voyage au pays de l’harmonie précaire), mai 2008, Éditions Verticales.
(**) Les Editions Verticales avaient publiées « Entre les murs » en 2006 scénario du film qui a reçu la Palme d’Or cette année. L’ambition de cette maison d’édition est de mener une politique d’auteurs en découvrant des voix singulières, être « un centre de ralliement des divergences », comme le dit son fondateur. Il faut entendre par la position « verticale » celle orthopédique autant que celle poétique : rester debout face aux menaces de la normalisation, de la propagande du divertissement, pour échapper à une littérature « utile, utilisée, utilitaire, utilisable », comme disait l’un des auteurs, Jean-Marc Lovay. Le catalogue éclectique et contemporain permet aussi de gommer « l’oubli du politique sous le littéraire ».