Pour clore son festival annuel Autres Brésils(*) consacrait sa dernière soirée aux mouvements sociaux. Le premier documentaire sur ce thème, Ajuste(**), confrontait, à partir de témoignages de leaders sociaux de la banlieue de São Paulo, différents parcours de travail et d’intervention sociale. Cet éclairage rare était un peu abscons faute de maitriser le contexte local ; mais après tout ce film n’était pas destiné à un public français. Entre argent, pouvoir, altérité, réseaux, Etat on devinait que ce secteur n’avait rien d’informel ! Le social, y est même décrit comme le 3ème secteur du pays après celui de l’État en décrépitude, du privé tout puissant, et de la délinquance et des gangs (drogue, vol…) qu’il cherche à contrer.
Movimento(***), documentaire plus accessible, débute sur une vaste fresque du mouvement social brésilien qui a porté Lula au pouvoir en 2002 – et lancé les Forum Sociaux Mondiaux – avant de dresser un état des luttes plusieurs années après son élection. Ce récit met en avant le rôle déterminant de l’église brésilienne avec la figure posée de Frère Betto, dominicain engagé, torturé en prison, qui s’attacha à transmettre les fondements de son « éducation populaire » auprès de ses codétenus. Il participa au développement des grands mouvements sociaux au Brésil, en incitant les plus démunis à se regrouper en une force apte à se battre pour une plus grande justice sociale. C’est la fameuse « pastorale de la libération » qui n’a guère plu à Rome.
Le débat post-projection a permis de donner un éclairage sur l’ampleur et la spécificité des mouvements sociaux brésiliens d’où se dégagent : l’importance de l’église, le poids de la base et non de l’élite, la force de mobilisation et d’organisation malgré de faibles ressources, le «protagonisme» des Brésiliens défini comme capacité à être le sujet de leur propre histoire. On connait tous le Mouvement des sans Terres mais sans doute moins les luttes pour le droit au logement (Mouvement des sans-toits) ou celles des syndicats.
Ces mouvements sociaux qui ont porté le Parti des Travailleurs au pouvoir ont connu une grande déception au lendemain de l’élection de Lula, qui se lança immédiatement dans une real-politik qui fera crier certains à la trahison. Même si des avancées ont eu lieu, permettant une relative diffusion de pouvoir d’achat, les sujets fondamentaux ne sont toujours pas à l’ordre du jour. La réforme agraire est éternellement ajournée, les gouverneurs échappent au gouvernement, l’agro-business en plein essor conduit à des déforestations massives et à la formation d’un salariat rural démuni. La puissance du Brésil à l’international semble passer avant le développement du pays. Les mouvements sociaux se trouvent questionnés dans cette forte intégration mondiale (rappelons que le Brésil est le B des B.R.I.C. émergents) et du fait de leur proximité au parti-État (avec ses corolaires : corruption, nouvelle bourgeoisie…). Fait nouveau. Si le désenchantement a fait perdre du poids aux mouvements sociaux, on en voit apparaitre de nouveaux de nature identitaire : femmes, Noirs,… C’est dans cette nouvelle donne que les mouvements sociaux doivent se refonder probablement en se tenant à distance du pouvoir.
(*) « Brésil en Mouvements », du 2 au 8 juin 2008 à Confluences. Films documentaires et débats sur les droits de l’Homme et l’environnement au Brésil. Proposé par Autres Brésils. L’association Autres Brésils permet à un public francophone de découvrir les réalités sociales, culturelles et politiques de la société brésilienne, loin des clichés habituels sur le plus grand pays d’Amérique latine. L’association anime un site Internet sur lequel sont traduits et diffusés des informations, des analyses, des reportages et des points de vues provenant d’un réseau de partenaires (médias, universitaires, acteurs sociaux, etc.) français et brésiliens. Tout voyage au Brésil qui s’intéresse un tant soit peu au contemporain devrait passer par là.
(**) Accords [Ajuste], de Daniel Veloso, Marcelo Berg, Robert Cabanes, Zé Cesar Magalhaes, 57’, 2005/06.
(***) Movimento de Marcello Lunière, 53’, 2008.