Il existe une pastorale du tourisme(*), je ne sache pas qu’il y ait une morale du tourisme. Le
goût d’aller à l’autre, de le découvrir et, par là, de se dépayser n’a rien de condamnable.
Cependant, la pratique industrialisée du tourisme lui a donné un aspect nouveau : il ne s’agit
pas de découvrir (même si le mot abonde dans les prospectus) ni de comprendre, mais de
consommer des signes et des valeurs qui ont mis des siècles à se constituer. Ce tourisme,
industrialisé, enrégimenté, est l’expression éclatante de la curiosité, telle que Heidegger la
désigne dans sa triade vicieuse (avec l’équivoque et le bavardage). Comparable à la
prostitution, il ne donne à consommer qu’un simulacre. Au lieu d’une approche lente,
pudique, amoureuse, de l’étranger, il nous promet, contre argent, l’étalage de friandises
exotiques. Sans doute, l’article premier d’une morale du tourisme serait l’interdiction de
consommer ce qui ne doit pas l’être, car toute consommation de valeurs est destructive, et
de même que le viol détruit l’amour, les cohortes touristiques, menées au mégaphone à
l’assaut des monuments, détruisent ce qu’elles croient posséder.(**)
(*) Mon billet sur la pastorale du tourisme.
(**) Jean-Marie Domenach, Une morale sans moralisme, Paris, Flammarion, 1992, p. 165. [Les années 90 seront-elles les années de la morale? Selon l’auteur, la morale n’a de sens que confrontée à des situations concrètes. Restaurer les valeurs et célébrer les vertus, n’est-ce pas précisément revenir au moralisme, qu’il soit de gauche ou de droite ?]