On devrait refuser l’accès de nos jardins secrets aux sociologues, anthropologues et autres chercheurs en sciences sociales. Ils nous dépriment. De vrais désenchanteurs. Ce que nous croyons original, pétillant, sensé, unique, innocent se trouve face à leur comptabilité implacable de nos actes, n’être qu’une vague ondulation de l’Histoire, une mode éphémère, un comportement grégaire et aveugle, bref un fait de société sans gloire. Qu’avez-vous fait de votre libre arbitre, de votre esprit critique ? semblent-ils nous reprocher. A s’acharner sans répit sur notre existence, on sent poindre chez eux un accent de supériorité voire de méchanceté. Qu’on en juge par ces quelques réflexions sur le tourisme.
- Les voyageurs pensent généralement arriver parmi des populations vivant en parfaite harmonie, une sorte de mythique paradis antédiluvien. Passé le choc du premier contact […] ils s’adaptent à la situation et se font à l’idée qu’il doit bien rester quelque chose d’authentique de ce paradis qui ne soit pas complètement perdu. Et, bien sûr, il reste effectivement toujours un petit quelque chose… Par conséquent, soit les touristes marcheurs [de trek au Nord de la Thaïlande] ne voient pas la réalité quotidienne qui les entourent, soit ils ne désirent tout simplement pas en établir un constat.(*)
- Ce n’est pas un pays qu’ils visitent, c’est le fantôme d’un pays, où toute l’attention ne se porte que sur ce qui est étrange, inhabituel, bizarre, imposant ou minuscule. Le voyageur qui traverse des endroits en courant et survole des régions rapidement ne voit que ce à quoi il s’attendait. Ce faisant il ne peut guère résister à la tentation de l’ethnocentrisme, c’est à dire à un nationalisme clamant la supériorité universelle de [sa] propre culture.(**)
- Finalement, le touriste est un homme qui passe et qui ne voit rien. Et d’ailleurs que cherche-t-il sinon à être confirmé dans ses propres préjugés, à retrouver ses propres habitudes de confort et jusqu’aux fausses images qu’il transporte avec lui sur le pays qu’il visite(***)
A force d’être assénée, la critique finit par porter. Jean-Didier Urbain fait du touriste le héros complexé de son livre « Si faire du tourisme est une idée séduisante, être touriste est pour beaucoup une perspective insupportable. »(****) C’est avec beaucoup de prétention que le touriste se présente alors en Voyageur avec majuscule s’il vous plaît. Culte vain de la distinction pour échapper coûte que coûte à l’épithète infamante de « touriste ». Et pourtant qu’est-ce qui sépare vraiment le touriste du voyageur si ce n’est cette prétention ?
(*) En route pour l’Asie : le rêve oriental chez les colonisateurs, les aventuriers et les touristes occidentaux, Franck Michel. 2001. p. 112.
(**) Sex, Sonne, Sand. J. Bugnicourt, J. Starnberg. In: Starnberger Studienkreis für Tourismus (Hg.): Tourismus: Entwicklung und Gefährdung. 1978. p. 31. Cité dans Les vacances, et après ? : pour une nouvelle compréhension des loisirs et des voyages, Jost Krippendorf ; trad. par Isabelle Wormser. – Krippendorf, Jost – 1987. p.109
(***) Le tourisme, une rencontre manquée, p. 7 , A. Bouhdiba, Le courrier de l’UNESCO n°102, février 1981.
(****) Jean-Didier Urbain, L’idiot du voyage : Histoires de touristes. 1993. p. 9.