Sep 012008
Il est une île douce posée sur la mer des Caraïbes entre Cuba et nos Antilles. Une île tropicale aux plages de sable blanc, aux vertes montagnes, paradis à touristes pour peu que les tempêtes se taisent. Christophe Colomb la baptisa Hispaniola lorsqu’il la « découvrit » en 1492. Une seule île mais bientôt deux pays, nés de rivalités entre Français et Espagnols, féroces colonisateurs qui la peuplèrent d’esclaves après en avoir décimé les habitants. Haïti à l’Ouest et la République dominicaine à l’Est. Deux pays et deux enfers pour le million d’Haïtiens immigrés à Saint-Domingue exploités dans les bateyes, immenses plantations de canne à sucre. En visionnant Haïti chérie(*), on a peine à croire que cette île fut la première à rendre effective l’abolition de l’esclavage en 1804(**). Milices patronales brutales, menace d’expulsion permanente, droit de cuissage, corruption, logements insalubres sans commodités d’eau ni d’électricité, salaires d’un ou deux euros pour 10 h de travail sans accès aux soins, à l’éducation, à la culture dans ces conditions les migrants illégaux perdent jusqu’à l’idée d’un retour vers leur pays lui-même en dérive. Ce sont des «zombies sociaux» selon le mot du réalisateur(***), leurs enfants eux-mêmes n’ayant souvent aucun état civil.
Haïti chérie s’attache, dans cette fiction documentaire, sans fausse pudeur aux destins individuels et c’est déjà beaucoup. Ce faisant, tout comme le rapport d’Amnesty(****) il ne laisse qu’entrevoir les sinistres enjeux. Il faut chercher ailleurs des informations sur les raisons de cette situation(*****). A savoir :
- La montée en puissance des agrocarburants,
- Les vieilles rivalités Haïti-République dominicaine dont la xénophobie est largement instrumentée,
- l’enrichissement éhonté et sans scrupule de quelques gros propriétaires des plantations dominicaines bénéficiaires de subventions américaines tels les frères américano-cubains Alfie et Pepe Fanjul qui en retour arrosent l’un les Démocrates, l’autre les Républicains !
- et en toile de fond le rôle des Etats-Unis pour qui l’Hispaniola est depuis longtemps un avant-poste anti-castriste.
http://www.allocine.fr/blogvision/18816702
(*) Le site du film Haiti chérie, film italien de Claudio del Punta 2006.
(**) Dossier Haïti sur Hérodote pour une lecture de l’histoire.
(***) Du sucre dont on fait le fiel et Ce sont des Zombies sociaux. Libération, 28 mai 2008, pp. 25-26.
(****) Rapport d’Amnesty International. Une vie en transit, La situation tragique des migrants haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne, Index AI : AMR 27/001/2007. ÉFAI, Mars 2007.
(*****) Pour un éclairage économique et géopolitique, voir en particulier :
- Le Monde Diplomatique, 1er août 2008. Des centaines de milliers d’esclaves au paradis dominicain, par Benjamin Fernandez.
- CBC white and deadly : Politics and Sugar
- NY social Dairy, Fête à Casa de Campo chez les Fanjul dans leur club de vacances : Last weekend golfers from all over the world flew in to the Dominican Republic for Alfy Fanjul’s 17th annual Sugar Golf Tournament.
- Haïti/Rép.Dominicaine : « Une étreinte mortelle si nous ne sommes pas capables d’avoir un rapport à la vérité », Retour sur le colloque « Sang, Sucre et Sueur » à Montréal, 2007.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Haïti chérie ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/09/haiti-cherie/>