Oct 302008
En 1992, l’étranger de passage à Abu Kamal était accueilli par des dattes succulentes et des grenades pacifiques, des sourires, du thé et bien d’autres marques d’amitié. Je peux en témoigner. Cette année-là je découvrais de mes yeux la Mésopotamie, comme surgie de mon manuel d’histoire de sixième, au creux de ce croissant fertile qui nous a légué des inventions essentielles. Roue, poterie, écriture, cités, agriculture, États, monothéismes… cette terre a toujours été généreuse. Enthousiaste, je visitais les sites archéologiques de Mari, Doura-Europos, jurais de témoigner de mes découvertes à mon retour. Certains subirent d’interminables diaporamas ; il en naquit même deux guides de voyage et quelques articles.
Dans les régions arides, lorsque les hommes détournent leur regard vers les mers et les océans la terre retourne aux nomades. On le chante ; un bédouin ne connaît pas de frontières, mais notre modernité finit par en exiger. En 1920 nos compères Sykes et Pikot dépecèrent l’Empire ottoman en quelques coups de crayons malhabiles. Les tribus se trouvèrent écartelées entre Syrie, Irak et Jordanie. Plus tard encore lorsque les États décrétèrent qu’il était bon (et prudent) qu’il se sédentarise, le nomade finit par remiser sa tente et ses montures. Il devint paysan, cultiva âprement la terre, puisa l’eau de l’Euphrate, verdit ses rives. Les liens ancestraux permettaient de déjouer les frontières et faciltaient les affaires. Mais dans les années 90 Abu Kamal souffrait déjà. Guerre du Golfe. La frontière avec l’Irak était fermée. Plus de transit, plus de commerce ; plus de commerce, plus d’argent. Car pour son malheur Abu Kamal est un poste frontière et qui plus est avec un voisin turbulent. Il est écrit que les Syriens doivent encore et toujours payer. On ne sait quelle dette. Ils ont beau avoir accueilli en silence plus d’un million de réfugiés irakiens chassés par la désastreuse invasion étasunienne, avoir signé une reconnaissance de l’État libanais, ils doivent encore payer. Le 27 octobre 2008, en totale violation du droit international, des hélicoptères américains ont débarqué à Abu Kamal(*). Une attaque risible si elle n’avait été mortelle. Un mauvais coup pour les Syriens meurtris par des attaques répétées sur leur sol aux conséquences politiques désastreuses mais aussi économiques. La campagne d’affichage pour la promotion touristique du pays qui occupe ces jours-ci nos quais de métro tombe bien mal(**).
(*) 2008 Abu Kamal raid par Wikipedia.
(**) Syrie Voyage