Ah cette bonne bibliothèque Couronnes ! Toujours pleine de ressources, généreuse et dévouée à son public(*). Elle accueillait cet après-midi une conférence-débat organisée par Trajectoires, un collectif de chercheurs qui travaille sur la mémoire sociale et culturelle des migrations(**). Programme du jour : la présence chinoise à Paris. Une présence singulière, réputée énigmatique et silencieuse. Trois intervenants étaient conviés pour dépasser les images stéréotypées généralement associées à cette communauté, en s’intéressant en particulier à décoder la façon dont elle prend ancrage dans les quartiers parisiens.
Donatien Schramm de l’Association Chinois de France – Français de Chine(***) – et accessoirement mon professeur de mandarin – avait intitulé son intervention Les Chinois, ça n’existe pas. Titre provocateur s’il en est pour signifier :
- que la Chine est un espace immense peuplé de 1,3 milliard d’habitants,
- que, sans même parler des minorités, les Chinois, s’ils partagent fièrement l’héritage d’une civilisation millénaire très riche, sont au moins autant attachés à leur région d’origine qu’à leur pays qu’ils méconnaissent bien souvent,
- que les Chinois de France ne sont pas du tout représentatifs de la diversité de la RPC.
En retraçant l’historique des migrations vers la France M. Schramm distingue en effet clairement plusieurs vagues de migrants aux origines très différentes.
- Les premières migrations furent celles de commerçants ambulants, vendeurs de stéatites de Xien-Xien (?, près du port de Wenzhou). Ils s’installent à l’îlot Chalon (gare de Lyon) au début du 20e s puis dans le quartier des Arts et métiers où ils nouent des liens d’affaires avec des Juifs autour de la maroquinerie.
- Le Chinatown du 13e arrondissement (triangle de Choisy) a été créé par des Chinois d’Outre-mer, c’est à dire installés de longue date dans les pays d’Asie du Sud-Est principalement Vietnam, Cambodge, Laos et chassés pour des raisons politiques. c’est le drame des boat-people entre 1970 et 1982. Le teochew – langue traditionnelle de ces communautés – présente de nombreuses singularités par rapport au mandarin. Ce terme de teochew est d’ailleurs souvent utilisé pour désigner cette communauté, dont la plupart des membres ont obtenu la nationalité française.
- La nouvelle vague qui s’est installée à Arts et Métiers puis à Belleville à partir des années 90 (mais aussi à Popincourt et Aubervilliers) est constituée de migrants économiques plutôt jeunes, d’origine rurale de la région de Wenzhou (côte sud-est de la Chine, 8 000 000 habitants). Ils ont rejoints à Belleville les commerçants teochew qui s’étaient sentis à l’étroit dans le 13e.
- Dernière vague en date, les Dongbei, migrants économiques du nord-est de la Chine sont les victimes des restructurations de l’industrie chinoise, souvent des cadres isolés en rupture sociale et familiale avec la Chine.
Quelques foyers principaux de l’immigration chinoise vers la France
Ces différentes communautés se mélangent peu. Les mariages « mixtes » y demeurent l’exception, infirmant totalement l’idée d’une communauté chinoise homogène et soudée. A combien évaluer les Chinois de France ? On compte officiellement 40000 Chinois, entendons par là disposant d’un passeport chinois et régulièrement installés en France. La présence chinoise serait plutôt de l’ordre de 500 à 700 000 si l’on inclue les Français d’origine chinoise, de Chine continentale ou d’Outre-mer et les sans-papiers arrivés ces dernières années.
Mais difficile de s’y retrouver. Car passées les premières années d’installation, la diversité des stratégies personnelles brouille les pistes. Ainsi, Donatien Schramm refuse de qualifier de Chinatown le triangle de Choisy car peu de Chinois résident dans ce quartier (14% selon une enquête), préférant la banlieue de Marne-la-Vallée.
Ce qui distingue peut-être ces migrants d’autres c’est l’adoption d’une stratégie entrepreneuriale alors que Maghrébins et Africains ont formé la main d’œuvre des grandes entreprises françaises, et la volonté d’assumer de manière communautaire cette migration. D’où probablement l’idée de mystère attachée à cette population renforcée par la barrière linguistique.
Sous le titre Quel patrimoine des Chinois à Belleville? Bernard Dinh (architecte, Association Trajectoires) nous a convié à une visite guidée des lieux qui auraient une valeur patrimoniale ou emblématique de cette présence chinoise pour les personnes concernées. Des lieux plutôt que des objets, car peu d’objets caractérisent la migration.
- Première étape au pied du métro Belleville. Le restaurant baptisé Président depuis le passage de Mitterand serait un lieu « aide-mémoire ». Ses salons appréciés pour les mariages affichent complets trois ans à l’avance ! Volontiers tape-à-l’œil – comme son confrère de la cour Lesage – il participe au gain de face, à la manifestation de la réussite.
- Autre restaurant, Le temple céleste du côté des Arts et Métiers appartient à la mémoire wenzhou. Mme Lifang Ye, sa propriétaire a aidé et orienté des générations de primo-arrivants. Les immeubles du quartier du Temple – en hébergeant ateliers de maroquinerie et travailleurs – ont longtemps participé à la stratégie de l’invisibilité de la communauté chinoise.
- La rue vieille du Temple est le cœur d’un réseau social de migration. Au 43 l’Association des Chinois résidents en France est aussi un relais de transmission de l’ambassade de Chine. Plusieurs centaines d’enfants y apprennent le chinois.
- Rive gauche des clubs sélects et des temples animés par de prospères entrepreneurs chinois jouent le rôle de conservatoire de tradition.
- L’église Sainte-Elisabeth (Arts et Métiers) et le temple protestant de Belleville constituent autant de repères pour témoigner de la fraction chrétienne de la communauté chinoise.
Mais c’est loin de Paris, en Baie de Somme, que l’on trouve le seul lieu consensuel (français et chinois) de mémoire de l’immigration chinoise : le Cimetière de Nolette à Noyelle. Il est pourtant peu connu des Chinois de France puisqu’y sont inhumés quelques uns des 100 000 travailleurs du Nord de la Chine recrutés par l’armée britannique dans le cadre du Chinese Labour Corps, pour des tâches civiles durant la Première Guerre mondiale. La plupart des 837 Chinois inhumés sont morts de la grippe espagnole en 1918-1919. Les autres sont rentrés à l’except
ion d’une petite poignée qui ont fait souche en France.
Ce n’est pas du chinois pour les Chinois : une lecture des enseignes de magasins chinois constituait le troisième exposé de l’après-midi. Liu Wenling une jeune anthropologue chinoise à l’EHESS, nous proposait une flânerie pour décrypter les enseignes des commerces de détail et de bouche, puisque les grossistes ont obligation légale de n’utiliser que les caractères latins. On y apprend d’abord que les messages délivrés (et interprétés) sont très différents selon la cible. Ainsi, un Chinois pourra très vite discerner à la calligraphie (traditionnelle ou simplifiée), à la translittération (pinyin ou phonétique), au sens de l’enseigne elle-même l’origine géographique du commerçant (Chinois d’Outre-mer, Chinois du continent…), là où un français ne verra dans ces caractères bizarres que l’indication d’un commerce asiatique de plus. L’enseigne en français n’est pas toujours la traduction littérale du mandarin. Un «restaurant prospérité» enseigne classique et de bonne augure pour un Chinois sera traduit « restaurant impérial » pour s’épargner les lazzis de la clientèle française pour qui la réussite ne doit pas s’afficher.
La forme de l’enseigne (le papillon, l’usage du panneau latéral vertical) fournit également des indications sur l’origine du commerçant et éventuellement ses spécialités et crée une proximité communautaire avec le client chinois.
Les trois présentations n’ayant pu étancher la soif de connaissance du public, les questions s’éloignaient rapidement du patrimoine pour se focaliser sur le présent de ces Chinois que nous côtoyons souvent dans l’anonymat chaque jour.
(*) Bibliothèque municipale Couronnes, 66, rue des Couronnes. 75020 Paris
(**) Association Trajectoires, Contact : Mohammed Ouaddane, ouamo6@gmail.com. L’association fête ses dix ans. A noter deux rendez-vous : les dix ans de Trajectoires le 13 novembre 2008 au studio de l’Ermitage avec Ami Karim et Khalid H et l’expo Migrances Africaines à la 20ème chaise (ex-centre social des Amandiers).
(***) Chinois de France – Français de Chine, 79 rue Rébéval. 75019 Paris, Métro Belleville/Pyrénées. Email : cffc75@yahoo.fr
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Présence chinoise à Paris ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/10/presence-chinoise-a-paris/>