En Chine, il faut se le dire une fois pour toute, on se lève tôt et on sera bien avisé d’en tenir compte. Ce matin, à 6h30, grande pétarade dans l’immeuble. Détonations, flammes, fumée… Je redoute un court-circuit dans ma salle de bain, une explosion de la centrale thermique mitoyenne. Rien de tout ça, simple accueil d’officiels. Mes yeux endormis assistent étonnés au ballet de voitures noires drapeau rouge étoilé au vent, tandis que s’affairent, accompagnateurs zélés, cameraman, photographe transi… et artificier déclenchant un bouquet de pétards pour sceller la visite. Pour qui, pour quoi, aucune idée. Je n’ai pas eu le courage de mettre le nez dehors en pyjama pour m’en informer. Mais depuis, cette affaire matinale m’intrigue. Un peu plus tard, un collègue chinois enseignant de français m’a fait quant à lui une visite sans tambour ni trompette. Il achève des études universitaires en France et n’habitait pas loin de chez moi quand il vivait à Paris. 中国大,法国小, la Chine est grande, la France est petite ! pour paraphraser la méthode Bellassen dont je révise les premières leçons.
Grand déboursement au supermarché Hui You – 惠友(*) pour compléter mon « trousseau » : balai-brosse, serpillère, éponges, torchons, détergents divers et échantillons de délices plus poétiques : badiane (八角, bā jiǎo), raisins secs (葡萄干), patate douce confite en lanière (红薯条, hóng shǔ), olives et prunes séchées et salées, miel. De quoi tenir un petit siège en cas de tempête de neige ! Curieusement, de nombreux produits manufacturés sont souvent aussi chers qu’en France, sans parler des produits importés inabordables (le sachet de muesli est à 4€). Mieux vaut souscrire à la devise, when in Rome, do as Romans do !
Le beau fixe m’a décidé à retourner au centre-ville. Le bus 4 qui conduit de l’Université à la gare m’a déposé sagement devant l’imposante cathédrale de Baoding (圣伯多禄及圣保禄主教座堂). Saint Paul et Saint Pierre tout de blanc vêtus en gardent toujours l’entrée. Le quartier très commerçant comprend d’autres vestiges de l’ancienne Baoding : un très beau temple-pagode(?), une tourelle(?) et des jardins. J’y reviendrai plus longuement évidemment quand j’aurais un peu de documentation, car rien ne semble avoir été publié même en anglais sur ma ville d’expatriation. Tous les guides de voyage que j’ai pu consulter l’ignorent. Rédiger un guide francophone de Baoding, voila un sujet pour nos étudiants !
Dans les heureuses rencontres du jour un marchand ambulant qui vend un riz à la noix de coco sur le pouce tout chaud. Gastronomie toujours, et sans doute le clou de la journée, le repas servi dans un grand restaurant halal du centre-ville, où au passage on boit cul-sec de grandes lampées d’alcool blanc.
L’émincé de bœuf aux épices était un délice (水煮肉片, shuǐ zhǔ ròu piàn)(**). Des saveurs inconnues, des mélanges rares de piment rouge brûlant, de poivre grillé généreux, de sésame, d’anis, d’herbes aigres-douces… précédés d’une plus classique « entrée » à base d’épinard(?), de champignons noirs et d’ail (香茹油萊, xiāng rú yóu lái).
Cette ville commence à me plaire. Elle ouvre tous les appétits. Peut-être parce que tout reste à découvrir, que rien n’y est écrit. Les questions se bousculent. Qui habite ici, pourquoi, comment la ville a grandi, où sont ses racines, de quoi vit-elle aujourd’hui, où sont ses industries, quels sont ses projets, quels rapports entretient-elle avec sa campagne, la capitale… ?
5 mois encore pour explorer.
(*) Hebei Huiyou Group 惠友集团 (litt. L’ami bienveillant).
(**) Attention au contre-sens, un zhu peut en cacher un autre ! Le zhu rou est bien le porc, mais lorsque le zhu est de ton 1. Le zhu de mon assiette était du ton 3 (le circonflexe inversé) et signifie cuire. Précédé de shui il signifie même cuire à l’eau. D’autant que comble de confusion, les deux sinogrammes zhu (ton 1 猪 et ton 3 煮) se ressemblent, ce qui explique leur prononciation voisine. La différence à l’écrit c’est que le zhu de la cuisson comporte en plus quatre flammèches sur la ligne basse, peut-être pour représenter le feu de bois chauffant la marmite.
Rou pian (à lire ensemble) signifie steak ou viande émincée sans précision, mais la serveuse a écarté à ma requête, tout zhu rou de ton 1 et, pour justifier sa bonne foi, m’a remis la carte de visite du restaurant dont les deux caractères encadrant une bismillah stylisée – 清真 qīng zhēn – signifient halal. Le 水煮肉片 (shuǐ zhǔ ròu piàn) est donc bien un steak bouilli et non du porc émincé à l’eau. Ce plat mériterait certainement un titre moins prosaïque et portant moins à confusion.