Août 072009
Il y avait bien un palmier à Langogne, le débusquer n’était qu’affaire de temps. C’est chose faite. Il trônait au bord du plan d’eau de Naussac. Un palmier pas bien dru, un palmier de bande dessinée, de clip powerpoint. Pouvait-on espérer mieux à 1000 m. d’altitude ? Non. Mais au moins il est là, promesse d’une oasis rafraîchissante, autre symbole estival depuis que le tourisme de masse a traversé la Méditerranée. Une oasis plutôt incongrue puisqu’à ma connaissance le Massif central est plus connu comme château d’eau de la France que comme désert et la pizza ne passe pas plus pour spécialité oasienne qu’auvergnate.
Mais l’histoire de Naussac est bien plus cruelle que mes railleries du marketing. En 1976, alors que Carlos se trémoussait pour vanter les mérites d’Oasis, oasis, l’oasis de Langogne, elle, prenait corps engloutissant le vieux village de Naussac. Les protestations des habitants, de leurs élus ne purent rien contre la raison d’Etat. Le paisible village repose au fond du lac. Il ne reste du Naussac ancien que le clocher de l’église, un porche et une tour remontés pierre à pierre. A l’époque, le syndrome Abu Simbel était encore frais.
Le voyageur un peu curieux cherche une explication, un lieu de mémoire, qui raconterait, décrirait voire décrierait cette opération. Rien. On évite soigneusement de commenter cette histoire au touriste de passage. Inutile de chercher du côté du barrage. La visite de l’ouvrage elle-même est ajournée depuis 2001 (vigipirate à bon dos) et le site officiel de l’Etablissement public Loire & Affluents qui lui est dédié est d’un parfait cynisme(*). Au chapitre historique, pas un mot sur les 150 personnes déplacées.
Il existe à ma connaissance deux documentaires qui sont parfois projetés à l’occasion de colloques ou de festivals sur l’environnement. L’un signé Daniel Ropars(**), l’autre produit par l’ENS Lettres et Sciences Humaines de Lyon(***). A lire les notices, il y aurait bien des choses à découvrir à l’ombre du palmier de l’oasis pour un touriste du Réel.
(**) Naussac, une vallée sous un lac, documentaire de Daniel Ropars, (1978-1996-2008, 47 minutes). En 1976, des gens d’un petit village de Lozère se battent avec un comité de défense pour garder leur patrimoine : une vallée, une des plus verdoyantes de France, 1300 hectares, 5 hameaux, 60 exploitations agricoles, 150 habitants, 500 vaches, menacés par les eaux d’un projet de barrage. Le barrage existe aujourd’hui. Les mêmes gens 20 ans plus tard (1996) et un contraste : ce sont des paysans qui se sont battus pour défendre la nature et 20 ans plus tard des touristes, prenant leur pied, font de la planche à voile sur le lac qui a englouti la vallée et le village. Le savaient-ils ? bof…oui…non…leur réponse étaient évasives. Le barrage était possible ailleurs dans les gorges de l’Allier, pas loin de la vallée, mais le pouvoir giscardien de l’époque refusait toute communication civique avec la société. Les choses ont-elles changées ?
(***) Naussac. Du passé faisons table rase ? Un film de Martine Drozdz et Yann Calbérac, réalisé dans le cadre de la master class « documentaire » de la section Arts. Un film réalisé dans le cadre de la Master class « documentaire » de la section Arts en juin 2003.
A la fin des années 1970 est décidée la construction d’un barrage en amont de l’Allier. Si le projet permet l’aménagement de la vallée de la Loire, en limitant les risques d’inondation, il a aussi pour conséquence de rayer de la carte un petit village, Naussac. Peuplé de moins d’une centaine d’habitants, le centre de cette commune est situé au cœur d’une plaine qui sera totalement noyée par le réservoir du barrage en construction. La décision est prise de détruire ce vieux village, riche d’une histoire millénaire, et d’en reconstruire un nouveau, moderne et fonctionnel, dans une enclave de Langogne, le bourg voisin, sur les hauteurs du lac. La mise en eau du barrage, qui a eu lieu en 1982, occasionne donc un raccourci de l’histoire sans précédent pour Naussac. En quelques années se sont opérées des évolutions qui se sont étalées sur plusieurs décennies dans les villages voisins. La sociologie de la population a bien changé en vingt ans : la population – qui a quadruplé depuis – vieillissante et très largement agricole de l’ancien village a été remplacée par une population jeune et tertiaire. Alors que l’ancien village était replié sur lui-même, le nouveau est parfaitement intégré à Langogne, dont il constitue en fait un lotissement : la population naussacoise travaille à Langogne, mais cherche à Naussac la qualité de vie. La majorité des habitants actuels n’a pas connu l’ancien village.
Et pourtant, se pose la question de la place du passé dans la gestion de la cité. Peut-on tourner la page et oublier la destinée particulière de ce village ? Comment le passé se manifeste-t-il encore de nos jours dans la commune ? Naussac aujourd’hui est pris entre deux tendances : oublier le passé, au profit de la modernité mais en oubliant les âmes qui se trouvent encore sous l’eau. Ou bien, regarder le passé, ce qu’il y a sous le lac, quitte à négliger l’avenir et le développement du nouveau village. L’ENS Lyon a rencontré l’ancien et le nouveau maire du village ; l’un incarne la
nostalgie du passé, l’autre l’attente confuse de la modernité. Derrière la confrontation de leurs deux points de vue (et de leurs deux personnalités) se pose la question essentielle : que faire aujourd’hui d’un passé si encombrant ? Du passé, faut-il faire table rase ?