Mar 222010
Dans Ren jian tong hua School(*), le réalisateur chinois Wei Tie nous invite à l’intérieur d’une école primaire. Il se concentre non sur la pédagogie des matières classiques, mais sur ces moments, organisés ou non, parfois longs, où l’enseignant gère la classe, entretient la discipline, instille la morale et diffuse l’idéologie communiste.
Durant la préparation d’une fête, l’inter-cours, le règlement d’une bagarre, l’accueil de délégués, la cérémonie de transmission du foulard rouge, le debriefing avec la directrice, l’élection de l’élève modèle l’enseignante incite au dévoilement de l’intime, à la dénonciation, organise l’autocritique voire l’humiliation, promeut l’excellence, la réussite, le respect des professeurs, de la patrie et du Parti. Pas sûr que cette promotion de valeurs civiques et morales, de discipline et d’effort serait désavouée par les partisans de la rigueur morale en France. Remplacez les cours de politique par le catéchisme et cette école primaire passerait pour un paradis aux internes des pensionnats catholiques des années 60. L’absence de voix off n’exclut évidemment pas une intention de l’auteur. « En Chine, beaucoup de problèmes proviennent de l’idéologie », confie Wei Tie en marge de la projection(*) tout en reconnaissant que les racines de cette éducation plongent en profondeur dans l’histoire et la culture chinoise. Son document ne contient pas d’images choc, c’est plutôt un geste de sociologue – auquel Wei Tie se réfère volontiers – qui invite au débat ; un patient travail de documentation critique, d’accumulation sélective (la version longue dure près de 2 heures). Avec ces questions latentes qu’évoque la séance photo des élèves : comment se construit la personnalité d’individus finalement très différents dans cette éducation ? Quelle part de liberté est-il laissé à l’enfant entre construction d’une « société harmonieuse » et développement personnel ?
Comme le signale l’animateur du débat avec Wei Tie, plus ces documentaires nous confrontent à la nouvelle réalité de la Chine, plus s’éloignent les clichés et plus les questions surgissent. Ce film peu léché mais lisible sans être simpliste est à recommander à tout enseignant étranger en poste en Chine, mais pas seulement. Son interrogation sur le rôle dévolu à l’éducation dans une société rejoint des préoccupations universelles et intemporelles.
Ma soirée fut consacrée à un cinéma plus expérimental en matière de technique de narration. Collage de séquences anonymes extraites de Youtube illustrant les récentes manifestations en Iran(***), insupportable documentaire pour l’œil dont le héros est… justement l’œil(****), critique acerbe des conséquences des JO londoniens sur le quartier réservé au stade olympique(*****).
Le dernier documentaire, sur l’agonie d’un Japon rural(******), fut l’occasion d’une violente diatribe contre « l’obscénité » du numérique opposée à « la pudeur » de l’argentique préféré par le réalisateur. Selon le tenant de cette thèse, la proximité des corps et la souplesse offertes par la caméra numérique nuiraient gravement à une expression de qualité.
Pellicule ou numérique, ces trois dernières projections illustraient à mon goût les limites de l’innovation lorsqu’elle envahit tout l’espace d’une œuvre. In fine, une salle qui baille, qui s’endort ou qui se vide est le juge cruel de la qualité d’une œuvre.
(*) Ren jian tong hua. Wei Tie, Chine, 83′.
(**) Réel, journal du festival Cinéma du Réel, n°5. Interview de Wei Tie par Stéphane Girard.
(***) Cet endroit c’est l’Iran, Anonyme, 10′.
(****) Contre-jour, Christoph Girardet, Matthias Muller, 11′.
(*****) Memo Mori, Emily Richardson, 23′.
(******) Koyamaru, l’Hiver et le Printemps, Jean-Michel Alberola, 88′.