Mar 272010
 
Tout le monde ne part pas en vacances, guère plus d’un Français sur deux. Certains y renoncent par choix, beaucoup parce que ça leur est impossible. L’obstacle n’est pas seulement matériel. C’est là un des intérêts du documentaire de Mika Gianotti(*) que de restituer ce plafond de verre qui sépare ceux qui voyagent des autres. Le désir, la santé, les moyens ne suffisent pas. Partir nécessite une représentation de ce que l’on va rencontrer, un minimum de familiarité à la mobilité et d’intégration sociale. L’incapacité pour des familles en grande difficulté à penser les vacances est telle qu’elle nécessite un fort accompagnement associatif. Si le droit aux vacances est inscrit désormais dans les textes grâce à l’action d’une Michelle Demessine, très présente dans le documentaire(**), il ne va pas de soi. Il est contesté par ceux qui, un rien jaloux, aimeraient bien bénéficier eux aussi des aides aux plus modestes, voire relégué au second plan par les acteurs sociaux eux-mêmes. Sans compter l’autocensure des plus pauvres, convaincus de leur culpabilité, certains que les vacances se méritent.
Un autre atout de ce film – qui reste hélas plus que jamais d’actualité – est de montrer le bénéfice humain (confiance en soi, équilibre, ouverture au monde, souffle, etc.) qu’une famille peut tirer d’un court séjour.

Autre temps, autres lieux, autres voyages. Du Pôle à l’équateur(***), projeté dans la section écriture à quatre mains du Cinéma du Réel est un objet étrange, difficile, qu’un public peu averti trouverait franchement imbuvable. C’est le résultat du travail de fourmi d’un couple italien de néo-archéologues ou disons plutôt d’archivistes du cinéma, penché pendant plusieurs années sur des bobines de l’aube du XXe s. rescapées in-extremis de la destruction. Il ne s’agit pas d’une simple restauration, mais de la création d’un document à partir de matériaux anciens, retraités, mis en rythme. Ce film muet, accompagné d’une musique lancinante, est la démonstration ad-nauseum de l’horreur de la conquête coloniale du monde avec son cortège de missionnaires, de troupes, d’exotisme (encore), de porteurs africains, de fantasia, de chasses, de trophées et de guerres. Ce travail éreintant appliqué à 347 000 images minutieusement recadrées, re-colorisées, est une préfiguration de la violence européenne qui débouchera sur le fascisme. Eléments de la démarche par les réalisateurs :

« Nous voyageons en cataloguant, nous cataloguons en voyageant à travers le cinéma que nous allons re-filmer. […] La construction d’une caméra analytique nous permet […] de fixer et de reproduire dans des formes inhabituelles le matériel d’archive. Grâce à elle nous réalisons nos « mises en catalogue », nous archivons, parmi la masse d’images trouvées et que nous avons, celles qui provoquent en nous de fortes sensations. Emploi de l’ancien pour le nouveau, pour faire émerger des actualités les sens cachés, pour renverser les sens premiers. Mémoire de fin de millénaire sur les comportements, les idéologies»(*****)

Ceux qui souhaiteraient acquérir le film en DVD seront déçus. Le couple de réalisateurs, tout entier à sa démarche politique, refuse la distribution numérique pour que « le cinéma reste cinéma ».


(*) Premières vacances, la parenthèse, Mika Gianotti, 2007, 54′. Dans les exemples fournis, les familles paient environ 100€ pour une semaine à la mer soit 15% du coût total du séjour, le reste faisant l’objet d’un montage complexe. En 2004, la Bourse solidarité vacances aurait permis 60 000 départs. Le film a été projeté à la (nouvelle) Bibliothèque Marguerite Audoux (3ème) dans le cadre de ses samedis documentaires.
(**) Le droit aux vacances pour tous a été intégré à la loi sur la prévention et la lutte contre les exclusions, adoptée par les parlementaires, en juillet 1998.
(***) Du pôle à l’équateur, Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi, 108′, 16mm, 1986. A partir de films nitrates de Luca Comerio (1878-1940).
(****) Propos des réalisateurs extrait de la revue Trafic (n° 13, hiver 1995, p. 32), cité en ligne par de André Habib, dans Les Stases de l’histoire, Du found footage en général, et des films de Angela Ricci-Lucci et Yervant Gianikian en particulier, Hors-champs, 2006.