Avr 162010
C’était en 1973, mais je m’en souviens comme si c’était hier. La télévision venait à peine d’entrer à la maison et la troisième chaîne commençait juste à faire ses premiers pas. On l’appelait pas encore FR3, encore moins France 3, mais la télévision régionale. Et cette année-là, grâce à cette décentralisation providentielle, ma petite ville située en moyenne vallée du Rhône avait enfin droit à un reportage. 30 mn pour découvrir une fascinante figure locale, monsieur Saint-Prix. Un personnage hors-norme dans ce fief communiste plus rouge que Montreuil. Cet enfant né à la fin du XIXe s., fils d’un grand propriétaire viticole et d’une mère drapier, enrichie grâce à l’Albion, était en effet un pur produit de la bourgeoisie locale. Mais, au grand désespoir de son père, pas vraiment dans les conventions, puisque dès l’enfance, il ne rêvait que d’être comédien à Paris.
Avant ce reportage, je ne connaissais rien de Raymond Saint-Prix. Juste une silhouette à casquette, vivant reclus dans une maison de maître, au centre d’un splendide parc arboré du centre-ville. La caméra s’invitait dans cette demeure interdite au profane, guidée par ce curieux esthète septuagénaire. Car le petit Raymond avait grandi avec son rêve, au point de l’habiter, d’en faire toute sa vie. Soudain, cette ville maudite, où le sort m’avait précipité à la naissance, où l’usine Rhône-Poulenc me rappelait à chaque pas Zola, cette ville qui me semblait si loin du vrai monde, abritait un homme qui avait joué pour la Comédie française, côtoyé Sarah Bernhardt, étudié à Paris sur les conseils de Raymond Poincaré. Je découvrais que cet univers, que je ne connaissais que par les livres, avait bel et bien une existence réelle, sensible, que l’on pouvait non seulement ressentir, mais toucher. Expérience définitive pour l’enfant de treize ans que j’étais.
Aujourd’hui, près de quarante ans plus tard, comme un sans-culotte aux Tuileries, je pénètre à mon tour dans cette demeure, devenue musée(*). Je découvre l’univers fait de souvenirs de Raymond, le comédien contrarié. Tentures, gravures, tableaux, vaisselle, mobilier, théâtre d’ombres… autant de reliques d’un temps disparu défilent sous mes yeux, univers d’un enfant gâté, panthéon de mythes vivants et d’immortels de l’Olympe. Derrière les persiennes closes plane l’ombre obsédante de la mère sur ce fils unique. Il y a du Cavafy chez cet esthète célibataire tout entier voué à l’amour d’une mère et au souvenir exclusif des années de vie artistique.
Que j’aimerais réécouter la voix de cet homme. Je pense avoir enfoui quelque part l’enregistrement de cette émission de 1973. Il faut que je profite de mon passage à Roussillon pour y mettre la main dessus.
MAJ : j’ai retrouvé la cassette, on peut l’écouter ici.
Aujourd’hui, près de quarante ans plus tard, comme un sans-culotte aux Tuileries, je pénètre à mon tour dans cette demeure, devenue musée(*). Je découvre l’univers fait de souvenirs de Raymond, le comédien contrarié. Tentures, gravures, tableaux, vaisselle, mobilier, théâtre d’ombres… autant de reliques d’un temps disparu défilent sous mes yeux, univers d’un enfant gâté, panthéon de mythes vivants et d’immortels de l’Olympe. Derrière les persiennes closes plane l’ombre obsédante de la mère sur ce fils unique. Il y a du Cavafy chez cet esthète célibataire tout entier voué à l’amour d’une mère et au souvenir exclusif des années de vie artistique.
Que j’aimerais réécouter la voix de cet homme. Je pense avoir enfoui quelque part l’enregistrement de cette émission de 1973. Il faut que je profite de mon passage à Roussillon pour y mettre la main dessus.
MAJ : j’ai retrouvé la cassette, on peut l’écouter ici.
(*) Maison Saint-Prix. Renseignements sur le site de l’Office du tourisme du pays roussillonnais.