La première est que humanitaire (urgence) et développement socioéconomique sont et resteront intimement liés. Haïti nous confirme cette interdépendance.
C’est dans ces contours-là que la solidarité internationale forme aujourd’hui un secteur économique classique à part entière, structuré, avec ses entreprises cœur de métier (baptisées ONG), ses prestataires, son modèle économique, ses institutions de tutelle. Sa seule grande singularité réside que le « client » final (le bénéficiaire) ne paie généralement qu’une infime partie du prix des produits et services qui lui sont offerts.
Signe de professionnalisation croissante, depuis dix ans, les prestataires semblent de plus en plus nombreux que ce soit dans la logistique, la collecte de fonds (Ong Conseil, Phonidon, microDon, IZI collecte), la formation (Bioforce, IRIS…), la com’ (agences spécialisées dans l’humanitaire, salons dédiés, médias – solitv, radio solidaire, multiples revues – et même l’immobilier (la ville d’Annemasse se dote actuellement d’une Cité de la Solidarité Internationale).
Le salon des Solidarités est un salon professionnel. Il ne draine pas vraiment le grand public, on ne vient pas pour faire un don ou suivre l’avancement des missions. On y recrute principalement, on échange entre professionnels accessoirement. Le programme des conférences est fortement dédié à l’engagement humain.
Curieusement, malgré la professionnalisation et la banalisation des mobilités professionnelles dans d’autres secteurs économiques, le voyage et l’aventure restent un argument fort du recrutement de ressources humaines. A destination des recalés des grandes ONG, qui aujourd’hui exigent des qualifications professionnelles précises et limitées (médecins, logisticiens, encadrants expérimentés), des prestataires de service se proposent de vous faire « jouer » à l’humanitaire. Ainsi, chez Projects Abroad, c’est « voyagez, aidez, progressez ». L’organisme ressemble d’ailleurs plus à une agence de voyage qu’à une ONG classique. L’accent est mis sur le bien-être du « client », qui finance grassement son séjour, plus que sur le récipiendaire de l’aide. Ici on indique « pas de qualification particulière, flexibilité totale, enrichissement de votre CV, large choix de missions« . De même, la brochure de la Guilde s’intitule Aventure, et son mot d’ordre « partez en Missions Courtes avec la Guilde pour découvrir le monde à travers une aventure solidaire ». Chez Voyager autrement au moins, on ne cultive pas l’ambiguïté en proposant plus modestement de voyager solidaire.
Ces quelques exemples pour confirmer qu’aucun secteur professionnel ne pratique l’autocritique, tant qu’une crise ne le menace. Il vise plutôt à sa croissance. Pas plus que la Finance, l’Humanitaire et le Développement n’échappent à la règle. Ce secteur privé – même s’il bénéficie en grande partie de subventions publiques – s’évite de penser. Ne s’entretient-il pas lui même, oubliant que sa mission sur le terrain est de s’effacer le plus tôt possible, doit-il se substituer aux États (au Nord comme au Sud), le don n’est-il pas une sélection de cause par l’argent aux antipodes de choix démocratiques et de justice sociale, la com’, nerf de la guerre pour la levée de fonds, ne nous entraine-t-elle pas vers des dérives consuméristes ?
Pour trouver des éléments critiques (un des objets de ce blog), il faut fouiller. Ainsi, le GRAD et RITIMO ont publié plusieurs fascicules sur les limites du don et du voyager autrement et solidairement(**). Alternatives internationales s’interroge dans son numéro de juin sur comment mieux aider le Sud(***). Loin des Success Story, montant de l’aide, efficacité, éparpillement, respect des souverainetés nationales sont questionnées. On lira en particulier avec intérêt l’étude de Axel Dreher sur l’efficacité relative des ONG de fonds privés(****)
(*) Salon de solidarités 2010, 4 au 6 juin 2020, Paris expo, Porte de Versailles.
(**) – VOYAGEUR, CERTES ! SOLIDAIRE, VRAIMENT ? Boîte à outils de 50 fiches (GRAD, SCI, RITIMO), Denys Leplus, Bernard Lecomte, Joëlle Soret et Christophe Vadon, 124 p.
– PARTIR POUR ÊTRE SOLIDAIRE ? Guide pratique de la solidarité internationale. Ritimo, 98 p.
– LE DON, UNE SOLUTION ? Ritimo, 96 p.
(***) Alternatives internationales, n°47, Développement: comment mieux aider le Sud ?, juin 2010.
(****) Suède, les ONG font-elles mieux que l’État(***) ou en anglais cette étude plus large et intégralement en ligne, NGO aid – well targeted to the needy and deserving?, Vox, 20 mai 2008.