Juil 192010
Le Musée, lieu fantastique, lieu absent de tout lieu a pour rôle de conserver les œuvres d’art à travers les âges, niant ainsi l’histoire et la mort. Il se met hors lieu et hors temps. Mais s’il y avait lieu de ne pas conserver les œuvres d’art ? (…)
Pourquoi l’art ne s’adresserait-il pas uniquement à la consommation immédiate ? L’idée de conserver des œuvres de cultures très lointaines, et de vouloir les transmettre à des cultures très lointaines, est particulière à la nôtre. Elle n’est pas, en tout cas, naturelle. Toute œuvre est prise étroitement dans le réseau des habitudes et des humeurs où elle est née, dans ce qu’on pourrait appeler (d’un terme que Dubuffet n’agréerait pas, mais que son discours implique) le système culturel qui l’a produit. Quand disparaissent ce système et les hommes où il s’est inscrit, les œuvres meurent également, sans parler de leur dégradation physique plus ou moins proche. « C’est mieux ainsi, c’est assez gentil cette mort, c’est gracieux. L’homme écrit sur le sable. Moi ça me convient bien ainsi ; l’effacement ne me contrarie pas ; à marée descendante, je recommence. » (1944, II, 232 1)
La conservation des œuvres a des conséquences affectant les notions même d’œuvre, d’art, de culture. Conserver implique un choix entre tel ou tel objet, celui-ci retenu dans le champ des œuvres d’art, celui-là exclu de ce champ et voué à un effacement silencieux. La conservation de tel objet enclos dans l’espace du Musée (ou de tel autre extérieur à cet espace mais si visiblement pareil aux objets du Musée qu’on n’hésite pas à l’épingler du nom d’œuvre d’art) a pour corollaire la destruction des objets que la culture a décidé de maintenir exclus de cet espace. Pour pouvoir conserver à grands frais Léonard ou Lascaux, il est nécessaire d’effacer le reste : traces de pas, maquillages, graffiti. Les murs des toilettes et des stations de métro, les rues, les visages sont périodiquement dépouillés de leurs traces.
Les objets conservés par le Musée (ou les objets identiques à ceux-là) sont dès lors soumis à une valorisation intense qui fait du Musée le réceptacle de trésors sans prix. De quoi le cadre doré qui entoure les anciennes peintures est un bon signe : en circonscrivant la surface peinte, l’espace neutre du cadre nous signifie qu’il sépare l’art (au-dedans) du non-art (au-dehors), et la peinture dorée dont il est recouvert fait voir la valeur extrême du rectangle qu’il est chargé d’enclore(*).
Pourquoi l’art ne s’adresserait-il pas uniquement à la consommation immédiate ? L’idée de conserver des œuvres de cultures très lointaines, et de vouloir les transmettre à des cultures très lointaines, est particulière à la nôtre. Elle n’est pas, en tout cas, naturelle. Toute œuvre est prise étroitement dans le réseau des habitudes et des humeurs où elle est née, dans ce qu’on pourrait appeler (d’un terme que Dubuffet n’agréerait pas, mais que son discours implique) le système culturel qui l’a produit. Quand disparaissent ce système et les hommes où il s’est inscrit, les œuvres meurent également, sans parler de leur dégradation physique plus ou moins proche. « C’est mieux ainsi, c’est assez gentil cette mort, c’est gracieux. L’homme écrit sur le sable. Moi ça me convient bien ainsi ; l’effacement ne me contrarie pas ; à marée descendante, je recommence. » (1944, II, 232 1)
La conservation des œuvres a des conséquences affectant les notions même d’œuvre, d’art, de culture. Conserver implique un choix entre tel ou tel objet, celui-ci retenu dans le champ des œuvres d’art, celui-là exclu de ce champ et voué à un effacement silencieux. La conservation de tel objet enclos dans l’espace du Musée (ou de tel autre extérieur à cet espace mais si visiblement pareil aux objets du Musée qu’on n’hésite pas à l’épingler du nom d’œuvre d’art) a pour corollaire la destruction des objets que la culture a décidé de maintenir exclus de cet espace. Pour pouvoir conserver à grands frais Léonard ou Lascaux, il est nécessaire d’effacer le reste : traces de pas, maquillages, graffiti. Les murs des toilettes et des stations de métro, les rues, les visages sont périodiquement dépouillés de leurs traces.
Les objets conservés par le Musée (ou les objets identiques à ceux-là) sont dès lors soumis à une valorisation intense qui fait du Musée le réceptacle de trésors sans prix. De quoi le cadre doré qui entoure les anciennes peintures est un bon signe : en circonscrivant la surface peinte, l’espace neutre du cadre nous signifie qu’il sépare l’art (au-dedans) du non-art (au-dehors), et la peinture dorée dont il est recouvert fait voir la valeur extrême du rectangle qu’il est chargé d’enclore(*).
1 : Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants (réunis et présentés par Hubert Damisch), Gallimard, Paris, 1967.
(*) Jean-Claude Lebensztejn, « L’espace de l’art », Zig-Zag , Flammarion, Paris, 1981, p. 22-23.