Oct 012010
 

Pris en flagrant délit de bidonnage(*), le Point, plutôt que de faire profil bas, ne manque pas d’air. Sitôt l’affaire rendue publique, son site web indiquait :

Le Point se fait un devoir d’enquêter sur les raisons de cette manipulation et de mettre à jour les intérêts qu’elle sert.

Une telle farce méritait sans doute moins de raideur et plus d’introspection. Car cet incident traduit un profond malaise, qui relègue celui du Point, drapé dans sa dignité, au rang de pleurnicherie.

Première zone de malaise, la difficulté apparente pour les journalistes à rapporter ce qui se passe dans certains coins de banlieue. Depuis quelques semaines, le terme fixeur est même employé(**), alors qu’il était jusqu’à présent réservé aux reportages en zones de guerre ! Première interrogation, qu’est-ce qui fait la difficulté spécifique de rapporter des informations dans certaines banlieues ? La distance, la sécurité, l’accès aux sources ou bien le courage, les moyens et la volonté ?

Deuxième malaise, celui des habitants des territoires concernés qui ne se reconnaissent pas dans l’image qui leur est renvoyée et qui l’expriment. C’était d’ailleurs le sens du piège tendu au journal : dénoncer les clichés colportés avec une facilité déconcertante.

Troisième malaise, celui du citoyen qu’on somme de prendre part au débat, sur des questions qu’il ne faudrait pas pour autant minimiser. S’il ne dispose pas d’éléments fiables sur la situation, comment l’électeur pourrait-il se prononcer ? A l’intuition, aux rumeurs, aux préjugés, la peur au ventre ? Il y a sans doute moyen de faire autrement(***)

Franchement, Le Point n’a pas volé de se faire piéger. Sa couverture de la semaine était particulièrement édifiante en amalgames : « Immigration, Roms, allocations, mensonges… » le tout agrémenté d’une pincée de peur : « Ce qu’on n’ose pas dire », avec un « on » qui me semblait banni de l’éthique journalistique, à moins que l’intention ait été de protéger des sources bien peu fiables…  Pour dramatiser le tout, la jeune fille en photo avait pris les airs de la réfugiée afghane photographiée pour le National Geographic ! Le Point, merci de nous réserver votre sensationnel pour les frasques de Madonna, ça porte moins à conséquence pour notre avenir.


(*) Quelques éléments sur l’affaire de l’article du Point « Un mari, trois épouses »
Il habite Clichy-sous-Bois et a grandi à Montfermeil. Il désespère de la mauvaise image de ces deux communes voisines de Seine-Saint-Denis, qu’il estime amplifiée à tort par les médias. Il a donc décidé de piéger Le Point, en se faisant passer, au téléphone, pour une épouse de polygame dont le fils serait au bord de la délinquance.
Son faux témoignage constitue le pilier d’un des articles publiés cette semaine par l’hebdomadaire dans son dossier « Immigration Roms, allocations, mensonges… Ce qu’on n’ose pas dire ». Dans l’article, les journalistes laissent croire qu’ils ont rencontré la femme en question. Pourquoi cette imposture ?
Abdel raconte sur Arrêt sur images – Polygamie : le Point en flagrant délit de bidonnage.

(**) Le terme a été abondamment utilisé dans l’affaire du documentaire très controversé « La cité du mâle ». Voir ou revoir le documentaire controversé, “La cité du mâle” – Pleine lucarne – Blog LeMonde.fr.

Le contenu de la soirée Théma « Femmes : pourquoi tant de haine ? », diffusée mercredi 29 septembre sur Arte, donnait le curieux sentiment que la violence et les préjugés envers les femmes étaient le strict apanage des immigrés et de leurs descendants. A lire sur Le Monde diplomatique : Sur Arte, un « féminisme » anti-immigrés.

(***) Un exemple de regard plus respectueux et plus immergé sur la banlieue
Avant de commencer ce blog, nous avons rencontré chacun de ceux dont nous faisons les portraits, et d’autres encore, pour leur exposer notre projet, recueillir leurs points de vue, en dehors de tout interview. La première réaction de nos interlocuteurs a presque toujours été là même : “Alors vous allez dire du bien du quartier ? Moi j’en ai marre qu’on dise toujours du mal, je veux parler de ce qui fonctionne”. Chaque fois, nous avons expliqué que notre attention n’était ni de “dire du bien”, ni de “dire du mal” mais d’approcher au mieux de la réalité de la vie quotidienne dans le quartier, dans toute sa complexité sur La “névrose” des habitants des quartiers – Urbains sensibles – Blog LeMonde.fr.

Pour prendre du recul, un livre sur les rapports entre médias et banlieue.
Le fait que les réactions soient suscitées par des reportages télévisés montre bien l’importance de cet acteur symbolique. Sa capacité d’imposition de visions de la réalité, par sa large diffusion notamment, est attestée par le fait que les différents univers sociaux sont amenés à croire dans l’image comme enjeu, ce qui les conduit à prendre en compte l’image médiatique « dominante » (proche du sens commun) dans leurs efforts pour produire une certaine représentation valorisante d’eux-mêmes. La suite sur Les médias et la banlieue, de Julie Sedel (extraits) – Acrimed | Action Critique Médias.