Signe indiscutable des profondes mutations que continue de subir mon quartier, se tient actuellement la première biennale d’art contemporain de Belleville(*). Manifeste et perception.
Le projet de Biennale à Belleville […] a pour objectif d’intégrer l’histoire sociale très dense de Belleville à sa singularité géographique.
Le Journal de la Biennale de Belleville, p. 2(**)
Sauf que, sauf que, pour cette première édition, Belleville est plutôt là en guise de faire-valoir, de décorum pour un art qui lui est étranger, tant par ses formes que par ses artistes. Le patient travail conduit par les Ateliers d’Artistes de Belleville depuis 20 ans, y compris avec la population, est non seulement purement et simplement ignoré, mais utilisé comme tremplin. La représentation de Belleville au loin, mélange suranné d’ancien village, de Commune, de Doisneau, de délinquance, de bohème, de cosmopolitisme tient lieu d’accroche publicitaire. Les 240 artistes, la plupart très modestes, qui ont ouvert leurs portes au public en mai tout en étant totalement exclus du programme, apprécient moyennement. Sur ce point, le manifeste ne laisse d’ailleurs pas d’illusions.
Ainsi les galeries privées qui viennent de s’y installer seront naturellement associées à la biennale et une collaboration sera envisagée avec les centres d’art de Belleville.
Le Journal de la Biennale de Belleville, p. 2(**)
Entendons par centres d’art, le Carré de Baudoin, la FRAC… mais pas les ateliers d’artistes.
Plus révélateur encore de l’état d’esprit de cette Biennale, cet extrait, toujours tiré du journal de la Biennale, où affleure la vieille peur de « Belleville la Rouge ».
La situation de Belleville comme « laboratoire des cohabitations urbaines » ne peut devenir la thématique d’une exposition axée sur les mutations et les transformations urbaines qu’à condition que ces dernières soient suffisamment problématisées, car le risque est grand que les œuvres ne soient instrumentalisées par les difficultés sociales du moment.
Le Journal de la Biennale de Belleville, p. 3(**)
On veut bien s’installer à Belleville, s’en servir de laboratoire, mais dans un Belleville de carte postale et surtout le plus lisse possible. Pas d’œuvres trop engagées. Le mécène (Fondation d’entreprise Ricard en l’occurrence) ne le souffrirait probablement pas.
Pour le reste, la série d’évènements de la Biennale n’est pas forcément inintéressante, mais plutôt conventionnelle dans son expression de l’art contemporain. On est au goût du jour, mais loin de toute avant-garde. De l’art sage de galerie contemporaine, avec ses petites folies bien contenues. On peut difficilement reprocher à la Mairie du 20e d’avoir laissé faire. Après tout, ce qui est bon pour l’image d’un quartier, est bon pour son économie. Une attractivité certes, mais au détriment d’une frange de la population qui risque progressivement de se trouver mise à l’écart, puis chassée, autant par l’esprit que par le prix du m².
A Belleville, il flotte ces derniers jours, l’amère impression que ressentent les habitants de destinations touristiques cernés de projets, de desseins et d’imaginaires qui ne sont pas les leurs. Un sentiment de dépossession.
(*) Biennale de Belleville. Du 10 septembre au 28 octobre 2010.
(**) Journal de la Biennale de Belleville. Rédacteur en chef Patrice Joly, commissaire général de la Biennale de Belleville.