L’imaginaire fait partie de mes thèmes favoris, surtout s’il est en lien avec le tourisme dans nos anciennes colonies. Je me devais donc d’assister à ce colloque « Décolonisons les imaginaires » organisé par Yamina Benguigui, réalisatrice et adjointe au Maire de Paris en charge des Droits de l’Homme et de la lutte contre les discriminations(*).
Pris par mes activités associatives, j’ai loupé le premier débat, et je n’ai pu, à mon grand regret, que croiser Fabrice d’Almeida dans l’entrée de l’Hôtel de ville. Lorsque je suis arrivé, le colloque tournait à la foire d’empoigne. Pourtant, le deuxième débat, baptisé « Médias et clichés, banalisation des discriminations ? », avait commencé sur une note humoristique.
Les Indivisibles(**) proposaient une compilation de séquences vues à la TV, les Y’a bon Awards 2010, dressant une typologie de dérives médiatisées à l’encontre des minorités visibles(***). L’inventaire illustré permettait d’imaginer des solutions tant dans l’accès aux médias des minorités que dans les pratiques journalistiques.
Cette démonstration, qui avait la force et les faiblesses de la caricature, ne fut pas du tout du goût de Caroline Fourest entrée immédiatement en hystérie, alors même qu’elle dit partager 80% de la démonstration de ses jeunes consœurs, Noria Belgherri (Les Indivisibles) et Nassira El Moaddem (Bondy Blog)(****).
Caroline Fourest n’hésite pas à se contredire. Peut-on sérieusement souligner l’importance capitale de la représentation des femmes dans le monde du travail et refuser que le bénéfice d’une juste représentation vaille pour la diversité des origines dans les salles de rédaction ?
Il y avait de la chasse gardée dans son propos. L’élite (journalistique en l’espèce) seule sait ce qui est bon pour le peuple. Plutôt que d’informer avec honnêteté, son rôle est d’être le garant d’un dogme (laïcité et féminisme pour Mme Fourest) supposé menacé par la diversité, de dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Mme Fourest n’aurait-elle pas tendance à confondre sa casquette d’éditorialiste avec celle de journaliste ?
Par opposition, le propos nourri de la diversité des expériences des médias internationaux d’Estelle Youssoufa semblait beaucoup plus sensé. Pragmatique, cette journaliste à TV5 Monde, qui a travaillé pour Al-Jazeera, LCI, I>Télé, fait le constat que « le contrat journaliste-population n’est pas rempli », puisqu’une part importante de la population ne se reconnait pas dans ce qu’on dit d’elle, se sent trahie (le témoignage d’Abdel (affaire du Point) était particulièrement éclairant de ce ressenti). Mme Youssoufa pointe l’entre-soi du journalisme français, le formatage des rédactions qui ne sont pas fidèles à la société. Elle reconnait volontiers que le terrain est miné en raison de l’instrumentalisation politique du débat alors même qu’il faudrait sortir des non-dits. Au passage, je pense que le même constat de trahison vaut aussi pour les partis politiques et peut expliquer leur désaffection.
Le troisième débat « Décoloniser le langage, devoir de mémoire, devoir de création ? » était beaucoup plus pacifique. Vincent Geisser déconstruisit avec force effets de manche les mots « intégration » et « diversité » en démontrant leur filiation avec le pouvoir. Plus linguiste que politologue, Alain Rey rappelle – entre mille choses passionnantes – qu’écartelé entre signe et idée, « chaque mot est un conflit en puissance ». Le coupable, ce n’est pas le mot mais son usage ; la publicité par exemple est parente de la propagande, elle fabrique un discours pour changer des mentalités. Pointant le rôle de la presse, il invite à une thérapeutique du langage, à la création d’un hypothétique Ministère de l’usage des mots.
(*) Un colloque pour lutter contre les discriminations raciales – Paris.fr. Décoloniser le langage pour lutter contre les discriminations. 8 octobre, Hôtel de ville de Paris.
(**) Les Indivisibles
(***) de mémoire :
- islamophobie (la figure du musulman comme ennemi intérieur, nous et eux)
- ethnicisation de faits sociaux (double peine)
- dénégation de faits historiques (Hors-la-loi)
- expression colonialiste
- attirance pour le sensationnalisme (affaire du Point, la cité du mâle)
- poids des « grandes gueules », pourfendeurs du politiquement correct (Zemmour…)
- identité nationale en négatif
(****) Bondy Blog, par la bouche de Nassira El Moaddem, insiste sur le poids de la TV « le média le plus dévastateur » qui produit un sentiment de trahison (mots, portraits, programme, vision binaire) en s’appuyant sur des exemples non représentatifs.