Anguo passe pour être la capitale non seulement chinoise, mais mondiale de l’herboristerie traditionnelle. Ni plus, ni moins. Alléché ? Moi aussi je l’étais. Comme la ville est située à une heure et demie de bus de Baoding où j’enseigne, je m’étais promis de lui rendre enfin visite lors de ce nouveau séjour(*).
L’évocation de ce « plus grand marché mondial » de plantes médicinales a de quoi en effet enflammer l’imagination. En bon touriste et selon sa propre expérience du voyage, on imagine des petits vendeurs accroupis présentant une maigre récolte étalée à même le sol (version Afrique ou Amérique latine), un souk couvert et poussiéreux avec grands sacs débordants d’herbes négociées après d’âpres marchandages (version arabe), ou un marché ombragé aux tables décorées de nappes constellées d’olives joliment dessinées (façon provençale), ou bien encore des chalets en bois (à la manière des marchés de Noël).
Il faut vite revenir à la réalité. On parle de marché mondial et ce marché-là est aujourd’hui plus virtuel que réel. Internet est passé par là. Les affaires se traitent à distance via les sites marchands(**), plus à la tonne qu’en quantité homéopathique. C’est du gros, pas du détail. Même le grand bâtiment qui servait de marché couvert est fermé depuis plusieurs années ; avec ses vitres brisées, ce n’est qu’un vaste courant d’air. Restent quand même autour d’une grande place blanche bordée d’étranges palmiers artificiels, une multitude d’agences, aux vitrines vides, plus équipées en TIC qu’en herbes précieuses. Non loin subsistent des entrepôts où s’accumulent de grands sacs conditionnés à même la rue, en attendant leur expédition en camion, vers le port de Tianjin ou de grands centres urbains chinois(***).
J’ai quand même pu obtenir provision de deux plantes recommandées contre la toux et les maux de gorge par le truchement d’une aimable anglophone qui a du percevoir mon désarroi. Vu les quantités ridicules que je demandais, cette négociante m’a offert généreusement, outre l’hospitalité de sa maison et le thé, mon lot de médecine douce pour les cinq ans à venir dans l’espoir peut-être que je lui trouve des débouchés français pour des quantités plus sérieuses. En Chine, amitiés et affaires sont des registres relationnels bien moins étanches qu’en France.
Anguo n’en reste pas moins intéressante à un tout autre titre. Celui de l’urbanisme. S’y expose la transformation brutale d’une petite ville prospère de Chine du Nord en cité moderne du XXIe s. Au cœur d’un comté agricole, la ville n’est qu’un vaste chantier assez représentatif de ce qui se passe ailleurs dans le pays et qui, de ce que j’en ai vu en une journée, se traduit par :
- Un boom immobilier avec de grandes résidences prêtes à accueillir un jour une partie de l’exode rural,
- Un empiétement progressif sur la campagne,
- Des avenues immenses qui paraissent pour l’instant surdimensionnées,
- Une utilisation systématique de l’espace libéré par les anciens remparts pour en faire des rues,
- La disparition des attributs de la « Chine de brique » : seules quelques façades d’époque subsistent sur la rue Yaowangmiao, pour combien de temps encore avant d’être démolies puis reconstruites à l’ancienne ?
- La suppression des industries qui se trouvent progressivement prises dans l’extension de la ville,
- L’aménagement d’espaces de « loisirs sains », vaste jardin public à la chinoise, avec plan d’eau claire, petit pont, pavillon, pédalos et fêtes foraines,
- La survivance en ville de petits métiers liés à l’agriculture, avec à Anguo une étonnante production de couettes à partir de coton brut,
- Enfin, la fabrique d’une image de la ville. A Anguo, on mise clairement sur le « roi » tutélaire de l’antique cité, maître des herbes médicinales, Pei Tong, qui repose dans un vieux temple remontant aux Han de l’Est (époque du Christ) pour symboliser la ville. Un nouveau grand temple est en cours de construction à l’ombre de l’ancien qui avait beaucoup souffert de la Révolution culturelle. D’après les photos du projet, il trônera sur une immense esplanade destinée à être la vitrine de la ville, autoproclamée capitale la Médecine traditionnelle chinoise.
Cet inventaire n’est que le fruit d’une visite rapide de Anguo et mériterait une vérification plus rigoureuse, mais je pense que les grandes lignes de ce qui se joue dans les villes chinoises aujourd’hui sont là.
Un petit film pour illustrer cette journée.
Un diaporama pour qui n’aurait pas accès à Youtube.
Un plan pour situer Anguo et ses curiosités.
Afficher Anguo (安国) sur une carte plus grande
(*) Bus 22 (ou 1 depuis la gare de Baoding) pour la gare routière. 1 ¥. Bus 601 pour Anguo (安国), 12 ¥. Temple : 10 ¥.
(**) Voir le catalogue complet d’une de ces officines sur internet : http://agchangan.en.alibaba.com. On remarquera vite que les plantes sont loin de provenir toutes de la région, mais que Anguo joue plutôt le rôle de hub.
(***) Nom du marché : Sheng Ji Gong Cheng (升级工程). Rickshow depuis le temple : 7 ¥.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Anguo ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2011/03/anguo/>